En 2019, Tropismes avait eu le plaisir de mettre les livres des éditions MeMo à l'honneur. Christine Morault, le "Mo" de la maison d'édition, avait alors eu la gentillesse de répondre à nos questions. Cette interview illustre magnifiquement le travail créatif des éditeurs jeunesse et la passion profonde qui les anime...

Tropismes et l'éditeur MeMo c'est une belle histoire d'amitié puisque nous avions inauguré – il y a douze ans déjà ! – notre magasin de la Galerie du Roi avec une exposition autour des "Très-petits" d'Elisabeth Ivanovsky. Cette année, nous aurons le grand plaisir de pouvoir présenter du début mai à la fin de l'été l'intégralité des livres publiés chez MeMo : ce sera pour nous l'occasion de rendre hommage au travail de l'éditeur, un travail dont on ne perçoit pas toujours la dimension créative. Nous sommes donc allés poser quelques questions à Christine Morault, cofondatrice des éditions MeMo.

christine morault photo

Quelle est l'histoire de la maison MeMo ? Pourquoi ce nom ? Quand a-t-elle été créée ? Et pourquoi à Nantes ?

Depuis leur création en 1993, les éditions MeMo ont édité des livres d’images d’hier et d’aujourd’hui, des cartes et des plans, des livres d’histoire, de la poésie et des livres d’artistes. À présent, nous éditons principalement des livres illustrés pour les plus jeunes, qu’aiment aussi les plus grands. Nous croyons à la modernité sans âge des images et à leur pouvoir d’évocation, et nous croyons aussi que la qualité de facture et l’innovation graphique s’imposent à l’œil du petit comme du grand. Cette confiance en l’image nous a poussés à privilégier avant tout l’auteur artiste, celui qui crée à deux mains, faisant progresser son récit au fur et à mesure que naît la forme. Pourquoi tout cela ? Parce que MeMo rêve que tous ces livres, qu’ils aient été créés hier ou aujourd’hui, donnent à leur lecteur le plaisir de l’objet qui est aussi un chemin vers l’art et vers la littérature. Et que nous continuons à croire à ce beau projet humain qu’est l’atelier du livre.

Comment devient-on éditeur ? Quel est votre parcours professionnel ?

Les éditeurs aujourd’hui apprennent leur métier dans des écoles, ils savent faire beaucoup de choses que je ne sais pas faire ! Même si j’ai commencé ce métier sur le tard, à 40 ans, la plupart d’entre nous, à cette époque, ont appris sur le tas, avec plus d’échecs que de réussites, surtout commerciales… J’ai fait des études d’art, à Penninghen, à Paris, après avoir appris à dessiner à l’Académie Julian, celle des impressionnistes. Penninghen venait d’être créé et ne coûtait pas encore plusieurs smics par mois !
Mais après plusieurs années, j’étais sûre de vouloir plutôt produire le travail des autres que de devenir moi-même créatrice. J’étais assez habile, mais je n’étais pas une artiste. Là-dessus, la politique des années 70 m’a fait devenir téléxiste aux PTT, puis voyager pendant des années et vivre à l’étranger une partie de ma vie. Au retour, dans la France des années 90, beaucoup de choses avaient changé, j’ai travaillé pour un magazine d’art contemporain et de fil en aiguille, après avoir rencontré Yves Mestrallet, j’ai créé MeMo, contraction de nos deux noms de famille, une de ces idées moyennes qui viennent quand on a épuisé toutes les autres pistes… Cette formation initiale m’a donné une chose essentielle et unique, l’envie d’aider à faire naître un projet artistique et un regard. Mais, même si tous les chemins ne mènent pas à l’édition, ils sont nombreux et tous différents.

memo images site

Quelle est la part de création et la part de réédition patrimoniale dans les programmes de MeMo ? Trouvez-vous indispensable de réimprimer des albums anciens qui ne sont plus disponibles ? Comment les choisissez-vous ?

Chaque année, et cela depuis le début, nous mêlons, comme si cela était le même mouvement, des ouvrages contemporains, souvent créé par de jeunes artistes, à des livres parus il y a un siècle ou plus, aussi bien que des ouvrages célèbres en leur temps dans les années 20, 30, 40, et même des ouvrages oubliés alors qu’ils n’ont qu’une vingtaine ou une trentaine d’années. Pour nous, chaque très bon livre est contemporain, moderne, et de même que Bach ou Goethe ne sont pas « vintage », cet horrible qualificatif, nous pensons que les enfants savent faire le tri, et que pour eux, rien n’est périmé, lorsque l’émotion qu’ils éprouvent ou leurs rires sont présents. Nous avons créé pour la Bibliothèque de Tours une exposition appelée « Avant et maintenant » qui présente en grands panneaux et en vitrines ces filiations, croisements, généalogies d’artistes du livre pour enfants. Elle a déjà voyagé au Centre André François et va encore voyager, sans doute au Japon, et qui sait en Belgique ?

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Vous accordez beaucoup d'attention à la qualité graphique des albums : les couleurs, le papier... Les albums MeMo sont-ils imprimés en France, en Europe ? MeMo est-il un éditeur « durable » ?

MeMo accorde à l’objet livre une place particulière depuis sa création. Nous avons édité notre premier ouvrage en 1993, en reproduisant un recueil d’étonnants motifs textiles destinés à ce terrible négoce qu’a été la traite négrière, à partir de Nantes. Pour redonner à chaque page le toucher particulier du « foulage » du tissu, nous l’avions fait imprimer sur une presse typo, à une époque, pas si lointaine pourtant, où subsistait encore dans beaucoup d’imprimeries ces presses typo, qui donnaient à chaque document la qualité d’un original. Puis pendant près de vingt ans, nous avons imprimé en proche périphérie nantaise, jusqu’à ce que, beaucoup de petites imprimeries ayant fermé, et les regroupements et concentrations fait monter les prix, nous ayons été incapables de continuer à le faire. Nous avons choisi, à la différence de beaucoup à cette époque, de faire imprimer nos livres en Europe, et en particulier en République Tchèque, vieux pays d’éditeurs et d’imprimeurs. Alors bien sûr, nous nous déplaçons beaucoup plus loin pour suivre l’impression de nos ouvrages, mais nous regroupons les impressions et nous avons noué une très belle relation avec notre imprimeur. MeMo est-il durable ? Oui, si on considère que nous ne pilonnons pas nos livres et que nous donnons tous les soi-disant « défectueux » après les avoir fait revenir à nos frais, dans des projets avec des écoles, des quartiers, des bibliothèques de rue ou associatives. Et surtout, nous espérons être durables en… durant, c’est à dire en donnant à chaque enfant l’envie de garder ces livres et de les transmettre.

Dans le catalogue MeMo on trouve plusieurs auteurs belges de grand talent, dont Mélanie Rutten, Kitty Crowther, Gaya Wisniewski, Étienne Beck, José Parrondo...Vous avez aussi réédité de merveilleux livres d'Elisabeth Ivanovsky. Selon vous, la création graphique belge présente-t-elle des caractères qui lui sont spécifiques ? Est-elle très différente de la création francophone dans son ensemble ?

Oui, la création de livres pour enfants a quelque chose de particulier en Belgique, elle s’attache plutôt au récit, à la fiction qu’à un geste graphique. J’avais été frappée, lors d’une master class, comme on dit, à Saint Luc, de rencontrer un professeur dédié pour la fiction. Et j’ai toujours été impressionnée par la qualité littéraire des récits d’auteurs belges. Comme un talent national, une primauté à la création d’un univers, de personnages, plutôt qu’à la démonstration de talent. C’est un vieux clivage franco-belge !

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Comment choisissez-vous les livres que vous allez éditer ? Rencontrez-vous beaucoup de jeunes auteurs ? Combien de livres publiez-vous chaque année ?

Nous choisissons d’abord les livres que créent les auteurs avec qui nous travaillons depuis longtemps, ils, ou plutôt elles, nous surprennent à chaque fois. Anne Crausaz par exemple, qui travaille avec nous depuis 12 ans, vient encore de nous étonner avec deux magnifiques albums, "Quel est ce fruit", "Quel est ce légume", pourvus de petites perforations, par lesquelles passent deux fourmis. A chaque fois, Émilie Vast, Junko Nakamura, Malika Doray, Mélanie Rutten, pour ne citer qu’elles, mais il y en a bien d’autres, nous proposent des récits en images merveilleux. Mais au moins une ou deux fois par an, nous avons un coup de foudre pour de jeunes créateurs, créatrices, comme Jeanne Macaigne en 2017 ou Gaya Wisniewski en 2018. Ce sont de ces illuminations instantanées qui nous font immédiatement nous décider pour éditer un livre, alors qu’il vient de nous être envoyé. Nous n’avons pas de service marketing, c’est peut-être un grand tort, mais c’est à coup sûr une chance, car nous sommes seuls à pouvoir décider, Yves, Yara Nascimento, l'éditrice, et moi, mais de plus en plus souvent Yara, de ce que nous voulons voir paraître chez MeMo. C’est une redoutable liberté !

cerise crausaz

Que nous mijote MeMo pour l'automne et les fêtes ? Pouvons-nous déjà découvrir les points forts de votre programme éditorial ?

Pour la fin de l’année, nous avons trois ouvrages dans la collection des Polynies, deux pour petits, dont l’un d’un auteur belge, Francesco Pittau, "Petit Garçon". Puis deux livres jamais parus en France, l’un de Margaret Wise Brown, illustré par Garth Williams, "Attends que la lune soit pleine", un délicieux récit dans lequel un jeune raton laveur pose une foule de questions à sa mère qui lui répond invariablement : « Attends que la lune soit pleine » jusqu’à ce que… Il y a un délicieux Malika Doray qui démine, avec son humour coutumier, les aléas d’une fête d’anniversaire, toujours à hauteur d’enfant. Une monographie sur Nathalie Parain, dans le même format que celle consacrée à Elisabeth Ivanovsky et, merveille, un nouveau Junko Nakamura, appelé "Lune", qui est une promenade rêveuse, une adresse à la Lune, et un magnifique livre d’images, entre reflets dans l’eau et ombres portées sur un cirque. Un chef d’œuvre…

lune junko

Et, pour conclure, je voudrais remercier toutes ces belles librairies, qui nous ont fait une place, nous ont fêtés, et avec qui nous avons un lien indéfectible, et en particulier Tropismes, cette quasi-institution, ce lieu de beauté et de partages. Merci !

 (Entretien : Anne de Bardzki)

 

 

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