La bruxelloise Emilie Seron est une auteure fascinante et secrète dont les albums jeunesse sont pour la plupart parus chez Pastel/L’école des Loisirs. Le jeu de l’interview à distance nous a permis de découvrir sa vie cachée d’esprit des bois, son grand-père imprimeur, ses lectures d’enfance et de faire connaissance avec toutes les petites créatures qui peuplent son atelier...

Emilie atelier

Les personnages de tes livres se cachent souvent dans les bois : gredins, sylvestres, mais aussi renards, ours, écureuils, sangliers vivent et dorment dans les taillis, dans des grottes ou au bord de rivières. La forêt occupe une place particulière dans ton imaginaire ?

J’aime dessiner la végétation, la vie organique et les animaux. J’ai une tendance naturelle à aller vers ça. Oui c’est sûr, la forêt occupe une place particulière dans mon travail ! Je m’y promène depuis longtemps. Il y a même deux fois mémorables où je m’y suis perdue. La première fois, c’était lors de ma première réunion louveteau, je devais avoir 8 ans. On faisait un jeu en forêt de Soignes et je me suis perdue avec une autre fille plus jeune qui commençait les louveteaux aussi. Je me souviens qu’on a mangé plein de mûres et qu’on s’imaginait ne pas être retrouvées avant plusieurs jours... voire ne pas être retrouvées du tout ! Un chef a fini par nous débusquer et nous a ramenées à la plaine après tout le monde. L’autre fois c’était chez les guides, j’avais 15 ans. On faisait un jeu de 24 heures dans les montagnes italiennes, au Val Martello. Deux camps s’affrontaient. On était parties à trois attaquer le camp adverse, on s’est perdues en forêt et la nuit est tombée. On s’est mise en boule rapprochées au milieu d’une route dans les bois. On a défait nos fléaux d’armes remplis de farine pour recouvrir nos jambes nues avec les tissus. Il y avait plein de bruits bizarres dont des grognements, assurément des sangliers. On a attendu là, tremblantes, peu confiantes dans nos chances de survie, jusqu’à ce que les phares de la voiture des chefs nous illuminent. J’ai fait plusieurs promenades prolongées depuis mais je n’ai plus jamais craint pour ma vie !

ours seron

Il y a aussi un certain animisme qui transparait dans tes histoires : rochers et arbres ont chacun leur rôle, quasi une personnalité ! Cela me fait penser à ce folklore ancien, encore vivace dans certaines régions, folklore qui t'a d'ailleurs inspirée entre autres pour ce petit calendrier d'anniversaire « des jours et des saisons » que nous aimons beaucoup. Ces traditions rurales te touchent ? Tu es pourtant plus citadine que rurale ?

Oui cet attrait pour l’animisme a toujours été là je pense. C’est quelque chose que j’ai gardé de l’enfance. Je me souviens que j’étais fascinée par « Sylvestre et le caillou magique » de William Steig où l’ânon se retrouve transformé en rocher et ses parents finissent par pique-niquer sur lui ! Je me souviens de peurs enfantines dans l’imprimerie de mon grand-père. Les machines me semblaient vivantes. L’une d’entre avait comme un visage, je passais toujours devant en courant et j’entends encore le bruit qu’elle faisait.

seron animisme

 

Ton grand-père était imprimeur ?

Mon grand-père était un homme assez secret, qui m’intimidait, il avait une élégance naturelle. Il a travaillé toute sa vie comme imprimeur en partie au Congo où ma mère a passé son enfance mais je n’ai connu que l’imprimerie de la rue du Moulin à Liège. Il imprimait des affiches, des journaux de toutes sortes, des imprimés divers et variés. Je revois encore l’espace en longueur, les machines, les casses, les caractères, les piles de papier. L’ambiance sonore était assez terrible! Et il y avait donc cette machine qui ressemblait à un grand squelette noir qui approchait sa tête et la reculait, comme un rameur, et devant laquelle on passait en courant, ma sœur et moi. Je me dis parfois que si je suis tellement attachée au papier, l’imprimerie de mon grand-père y est pour quelque chose...
Pour en revenir à l’animisme, Plus récemment, j’ai suivi une petite formation en anthropologie qui m’a amenée à effectuer un travail sur les guérisseurs wallons. Dans le cadre de cette recherche, j’ai rencontré plusieurs guérisseurs dans différentes parties de Wallonie et particulièrement dans les Fagnes. À côté des fascinants récits qu’ils m’ont raconté, j’ai lu beaucoup d’histoires dans des almanachs, et des recueils de légendes. Ces récits souvent très imagés étaient rythmés par le passage du temps. Les images qui me venaient en les lisant m’ont donné l’envie d’en faire quelque chose. C’est comme ça qu’est né le projet du calendrier. C’est aussi la dimension surnaturelle qui m’intéresse. Quand j’étais encore à Saint-Luc, j’avais commencé à illustrer des nouvelles fantastiques de Jean Ray et Michel de Ghelderode en gravure et j’ai poursuivi ce travail pendant plusieurs années. Je m’éloigne un peu du terroir quoique qu’il y ait quelque chose de la Belgique dans ces nouvelles qui me touche beaucoup. J’aime qu’il y ait cette dimension en décalage avec le réel dans les histoires que j’illustre.

calendrier seron

Mais pour revenir à ta question, oui : j’habite en ville depuis toujours et actuellement dans un quartier particulièrement urbain. J’ai toujours cette envie diffuse de vivre à la campagne mais je crois que beaucoup de choses me relient aussi à la ville. Je pense aussi que la vie rurale me touche surtout dans une forme plus ancienne ou idéalisée. C’est vrai que je dessine peu la ville. Quand je dessinais pour la presse, j’étais plus souvent amenée à dessiner toutes sortes de choses, parfois plus ancrées dans la vie urbaine de tous les jours, ce qui était parfois inconfortable mais aussi stimulant. C’est sûr que quand je me retrouvais à devoir illustrer un article sur l’espace public bruxellois, je me disais: «Ouille!» Mon travail se nourrit sans doute de ce manque et est peut-être un mode de survie dans notre monde de béton.

alors seron

 

Le folklore qui transparait dans tes illustrations est bien éloigné des contes de fées trop sucrés. Tes personnages sont des créatures sauvages, animales. D'ailleurs il me semble que les enfants connaissent des émotions encore plus exacerbées que celles des adultes. Ce n'est pas toujours le cas dans la littérature jeunesse, mais je sais que les auteurs que tu aimes ont aussi mis en scène des héros de chair et de sang plutôt que de fades faux-semblants...

Tant mieux si tu dis ça. Cela dit je ne suis pas sûre qu’on ait une grande prise là-dessus. Je pense qu’on dessine les personnages qu’on peut...On peut se perfectionner en dessin mais pas dans ce qu’ils dégagent me semble-t-il. Je pense que même si je devais dessiner des bisounours, ils seraient un peu inquiétants ! Je crois que les enfants sont complexes comme les adultes. Et j’aime les livres qui parlent à cette complexité. C’était déjà le cas quand j’étais enfant. Je me souviens d’avoir été très impressionnée par les contes d’Ionesco illustrés par Claveloux, Corentin et Delessert édités par Ruy-Vidal avec ces parents qui trainent au lit parce qu’ils sont sortis la veille (et qu’ils ont la gueule de bois) et qui essaient de retarder l’entrée de leur petite fille dans la chambre, ce père qui se cache partout dans la maison pour ne pas s’en occuper et qui lui racontent des histoires invraisemblables. J’ai adoré ça et 35 ans plus tard, ma fille est médusée aussi.

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Les livres jeunesses peuvent être de vraies rencontres. Je pense que si les livres de Tomi Ungerer, Kitty Crowther, Anthony Browne, Nicole Claveloux, Tove Jansson, Maurice Sendak, Eva Eriksson et ses auteurs - Ulf Nilsson, Kim Fupz Aakeson et Rose Lagercrantz- (pour ne citer qu’eux) me touchent autant c’est qu'ils font une part à l’ombre, à la mélancolie, à la cruauté, à la bizarrerie, ce qui ne les empêche pas d’être profondément doux et drôles aussi! Les enfants sont surprenants. Ma fille a voulu que je lui raconte souvent « Les enfants fichus » d’Edward Gorey qu’on n’imaginerait pas nécessairement comme livre de chevet pour une petite fille de 5 ans. Son plaisir est peut-être proche de celui que j’avais à écouter « Crasse-Tignasse »... Après j’adore aussi des albums plus légers comme « Drôle de pizza » de Steig ou « Ariol » qui parle tellement bien du quotidien d’un enfant, ou d’autres juste parce que je les trouve beaux comme ceux d’Ivanovski, d’Adèle Verlinden, Junko Nakamura...

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Certains de tes personnages sont inspirés par des jouets anciens que tu as repérés et achetés sur des brocantes. Ces petites créatures de bois ou de plastique ont chacun leur visage, leur expression, tu leur inventes une personnalité, une vie, des aventures... Je t'imagine enfant, occupée à te raconter des histoires devant tes jouets...

Oui ce n’était pas le cas au début mais c’est venu petit à petit, cette envie de travailler d’après des objets, et pas seulement des objets d’ailleurs. J’aime multiplier les sources avec des images de différentes provenances : archives, cartes postales, photos de famille, internet, textiles ... Je crois que cela rejoint ta question de l’animisme tout à l’heure, certains objets me touchent et c’est vrai que je les vois comme habités. Ça me rappelle un entretien de Ghelderode où il se souvient d’avoir été rechercher sous la pluie, lorsqu’il était encore tout enfant, un cheval de bois qu’il avait laissé dehors. Il sentait combien ce cheval devait souffrir d’être ainsi abandonné et, dans la nuit, il est allé à lui et l’a ramené à la maison au sec. Soulagé il a enfin pu s’endormir. Il croyait que les objets étaient sensibles et vivants et il raconte comment quarante ans plus tard cette singulière croyance n’est pas éteinte en lui. Je me sens proche de ça. Je dessine entourée d’objets : poupées russes, chiens, théière-chat, ampoules de noël animaux japonaises, tanukis, homme grenouille tchèque...c’est aussi une animalerie ! Enfant, on inventait pas mal d’histoires avec ma soeur, oui, et j’avais déjà des petites collections.

tanukis

 

Ton dessin, finement tracé à la plume, a une souplesse organique et tes couleurs sont toujours d'un raffinement exquis. Je trouve que ces couleurs transparentes donnent à ton travail une qualité onirique. Tu travailles à l'aquarelle ?

Oui je travaille le plus souvent en mélangeant encre de chine, aquarelle et encres colorées. C’est le cas dans mes albums pour enfants. J’ai fait beaucoup de gravure (pointe sèche) lorsque je dessinais à partir de nouvelles fantastiques pour adultes. J’aimais travailler en noir et blanc et découvrir l’impression, c’était magique. Plus récemment, pour des contributions au magazine Cuistax, je me suis essayée à la risographie que j’aime beaucoup aussi. Là aussi c’est la surprise bien que d’une autre façon, quand on découvre le résultat. Dans ces deux techniques d’impression, j’aime travailler sans savoir à quoi m’attendre. Cette non maîtrise liée à la technique est excitante. Et je dessine aux crayons de couleurs pour des petits projets ponctuels aussi. J’aime la résistance de la plume sur le papier (comme j’aimais celle de la pointe sèche dans la plaque de cuivre) mais j’aspire à trouver un jour l’énergie et la fraicheur de mes crayonnés (story-board).

Raconte-nous ton atelier. Les petits jouets collectionnés, la plume, l’encre et les godets d'aquarelle... Quoi d'autre ?

Mon bureau est un chantier permanent, souvent enseveli sous les objets, livres, photos... une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! L’ennui c’est qu’il est au milieu du salon , ma fille ne joue pas loin, s’étale aussi, ce qui nous attire parfois des foudres...Mais c’est plutôt vivant !

COQUILLE SERON

 

Illustrations : emilieseron.com

Photos : @Emilie Seron

Interview Anne de Bardzki

 

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