Penser le multiple

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Badiou Alain
Ed. Harmattan
Date de publication : 01/06/2002

La philosophie aggrave tous les cas qu'elle traite, les problèmes qu'elle soulève,

en cela fidèle à son site premier et dispersé. Elle ne se contente pas de « poser-les-bonnes-questions » ni de réfléchir (sur) son époque, rivalisant de sagesse ou légiférant de certitude au sujet de ce qu'il y a à savoir, eu égard à ce qui se présente, commentant interminablement les faits du jour et les malheurs du temps. Si Badiou est une singulière figure de la philosophie contemporaine, généreuse et revêche comme pourrait l'être celle de Deleuze, c'est en raison et en vertu de ce parti pris de la philosophie de ne céder à aucune litanie de la fin (d'elle-même, de la métaphysique, des idéologies, du progrès?), ni à aucun pathos de sa « responsabilité écrasante » face aux crimes du siècle, à un état de choses « socialement » désastreux ou historiquement déterminant, et qui demanderait de sa part réévaluation et comptes à rendre. Ni acquiescement ni reniement. La philosophie constitue, conçoit, un « espace conceptuel unifié où prennent place les nominations d'événements qui servent de point de départ aux procédures de vérités », lit-on (chaque mot pèse) dans
Manifeste pour la philosophie (Seuil, 1989), salubre et caustique mise au point et comme la peau irritée de l'?uvre monumentale qui l'a précédé : L'être et l'événement(Seuil, 1988), que le volume publié tente à la fois de faire saillir les nervures, mais aussi d'en repérer les béances et les obstructions, les torsions de lecture pointées avec sévérité par tous les intervenants, de développer, dans toutes ses ramifications, ce que Badiou entend par les « procédures génériques » productrices de vérités, et qui se nomment : le mathème, le poème, l'amour et la politique (les trois derniers attendant encore leur axiomatique). C'est sous ces conditions et dans la disposition conjoncturelle de la compossibilité de ces procédures que s'exerce une pensée « sur la brèche du temps », un temps capté par la déréliction du thème de la finitude, ou la nostalgie du sol grec de la Présence » (Le nombre des nombres, Seuil, 1990, p.75). Il n'y a là aucune arrogance ou reprise de savoirs institués, mais « un pas de plus » (Manifeste?, p.12) que le philosophe doit tenir à poser, avancer, soutenir, spécifier, nommer, avec méthode et dans un souci de rationalité évitant toute « obscure profondeur » (Multitudes n°1 p.201, note). C'est cette tenue affirmative, ce geste impératif (parfois tranchant, qui décide et prescrit) de la fidélité à la pensée, en pensée, qui qualifie souverainement l'?uvre de Badiou dans toutes ses déclinaisons « formelles » : le roman, l'essai, le théâtre, le traité, le manuel, mais aussi l'activité d'éditeur, de directeur de collections etc.
Nous regrettons cependant l'absence d'ensemble des romans de Badiou, le diptyque babèlien et rébarbatif de La trajectoire inverse (« Almagestes » et « Portulans »), le très hugolien Calme bloc ici-bas, ainsi que le cycle théâtral des Ahmed, magnifique personnage qui philosophe pour « armer les enfants de toutes les ressources de la langue et de la pensée » et « le faire dans la puissance du rire » (Actes Sud/Papiers, 1995).
Alain Badiou, penser le multiple est une traversée, en profondeur et en détail, la consistance et l'acuité critique des analyses donnant l'exacte mesure de l'ampleur proprement sidérante du système, des thèses philosophiques de Badiou depuis Théorie du sujet, et qui nécessite de la part du lecteur une connaissance sûre de l'?uvre.

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