Une nouvelle est en général un bref instant de vie, dérobé au temps, un court morceau de la réalité découpé net. Peu respectueuses de la norme, la plupart de celles que voici s'étendent souvent sur de grandes périodes, parfois sur toute une existence.
Un paisible ménage à trois qui ne finit que par une double infidélité. Un vieil homme qui, en réfléchissant sur son passé, se condamne lui-même à mort. Un musicien de brasserie qui, le violoncelle sur le dos, erre à la recherche de l'amour. Le destin d'une femme qui a été vamp au cinéma, dompteuse de tigres et bonne de curé. Une bavarde qui réussit à ennuyer son amant au-delà de la mort. Deux anciens collègues qui n'arrivent pas à se mettre d'accord sur leurs souvenirs. Et surtout, ce « Bref récit pour une longue histoire » qui commence dès l'enfance, et se déroule au cours de très nombreuses années, jusqu'à ce qu'il se perde dans les sables du temps.
Un camion brinquebalant fonce en direction de Freetown. La poussière retombe lentement sur la piste. Dans la cabine, saturée de crasse et de moiteur, Jamil échafaude des plans d'avenir. Sous le siège, les diamants dérobés permettent tous les rêves de pouvoir.
Autre année, autre décor. Du sable, une plage, un bar face à l'océan. Nelson le propriétaire et Gladys l'écrivaine sont en pleine conversation. Scène tranquille ? Ne nous y trompons pas. Les deux amis aux destins chahutés observent sans naïveté la valse des militaires et des puissants, comme des pantins qui se chassent les uns les autres.
Poussière dans le sablier, qui coule, qui s'écoule. Plus loin dans le temps à moins que ce ne soit plus tôt : Shaun est en fuite et ne doit pas se retourner. Difficile d'oublier pour ce médecin d'une ONG la tourmente qui a englouti la femme aimée dans le chaos des kalachnikovs et de machettes brandies au moindre prétexte.
Histoires particulières et pourtant toutes liées... rage au coeur et colères mal rentrées, les personnages de ce roman d'aventures se croisent, se découvrent, s'aiment et se perdent dans les troubles d'un pays en tension permanente. Chacun à sa manière, qu'il le veuille ou non, porte une partie de l'histoire de la Sierra Leone, chacun incarne pour toujours un morceau de l'existence de Salone.
Vents d'ailleurs est une maison fondée en 1999 par Jutta Hepke et Gilles Colleu. Ils éditent des livres venus des cultures d'ailleurs, proches ou lointaines, convaincus que la connaissance des cultures du monde aide à bâtir une société plus solidaire et plus humaine. La littérature est ainsi très présente dans le catalogue, mais également les albums jeunesse, l'art et les sciences humaines. Le plaisir de la découverte, la curiosité permanente, un non-conformisme littéraire revendiqué permettent à Vents d'ailleurs d'éditer des ouvrages qui reflètent les mille plaisirs de la vie, la diversité des idées du monde, les imaginaires les plus singuliers.
Au Rwanda, un lycée de jeunes filles perché sur la crête Congo-Nil, à 2 500 mètres d'altitude, près des sources du grand fleuve égyptien. Les familles espèrent que dans ce havre religieusement baptisé Notre-Dame du Nil, isolé, d'accès difficile, loin des tentations de la capitale, leurs filles parviendront vierges au mariage négocié pour elles dans l'intérêt du lignage. Les transgressions menacent au coeur de cette puissante et belle nature où par ailleurs un rigoureux quota « ethnique » limite à 10 % le nombre des élèves tutsi.
Sur le même sommet montagneux, dans une plantation à demi abandonnée, un « vieux Blanc », peintre et anthropologue excentrique, assure que les Tutsi descendent des pharaons noirs de Méroé. Avec passion, il peint à fresque les lycéennes dont les traits rappellent ceux de la déesse Isis et d'insoumises reines Candace sculptées sur les stèles, au bord du Nil, il y a trois millénaires. Non sans risques pour sa jeune vie, et pour bien d'autres filles du lycée, la déesse est intronisée dans le temple qu'il a bâti pour elle.
Le huis clos où doivent vivre ces lycéennes bientôt encerclées par les nervis du pouvoir hutu, les amitiés, les désirs et les haines qui traversent ces vies en fleur, les luttes politiques, les complots, les incitations aux meurtres raciaux, les persécutions sournoises puis ouvertes, les rêves et les désillusions, les espoirs de survie, c'est, dans ce microcosme existentiel, un prélude exemplaire au génocide rwandais, fascinant de vérité, d'une écriture directe et sans faille.
Donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts : tels sont les impératifs moraux édictés par l'Église sous le nom d'oeuvres de miséricorde, que le Caravage a illustrés dans un tableau conservé à Naples, et dont tous ceux nés en culture chrétienne sont imprégnés, même s'ils ne les connaissent pas. Ces injonctions morales sont ici mises à l'épreuve de l'expérience - réelle ou imaginaire.
«Il m'a fallu comprendre comment le Corps Allemand, majuscules à l'appui, après être entré à trois reprises dans la vie française par effraction (1870, 1914, 1939), continue à façonner certains aspects de notre existence d'héritiers de cette histoire. Chemin faisant, j'ai tenté d'y voir un peu plus clair dans les violences que les hommes s'infligent - historiques, guerrières, sociales, individuelles, sexuelles, massivement subies mais de temps à autre, aussi, consenties -, dont l'art et la sexualité sont le reflet et parfois la splendide, indépassable, bienheureuse expression, et de les lier du fil de cet impératif de miséricorde qui fonde notre culpabilité pour être, de tout temps et en tous lieux, battu en brèche.»
L'assassinat de Tom l'américain, est signé de telle manière que ses raisons ne laissent aucun doute dans l'esprit d'Henri, et le ramènent plus de vingt ans en arrière.
Alors qu'il aurait pu remonter au Tchad dans les années 70 ou un peu plus tard en Libye, c'est à Harar, en Éthiopie, que se situe le vrai point de départ de cette histoire, à un moment où beaucoup de dictateurs africains avaient entamé un véritable ballet de concert, chassés presque simultanément avec la décomposition annoncée de l'ex-empire soviétique.
La lutte pour le contrôle des matières premières ignore cependant les changements de régime. Au service des États, le russe, l'américain, le soudanais, le yéméno-éthiopien, le français, oeuvrent fidèlement dans l'ombre. Ils se croisent, s'entrecroisent, se défient, s'apprécient, se suppriment, le cas échéant, lorsque la ligne rouge est dépassée, et lorsque l'occasion s'y prête. L'entrée en jeu de la religion, des religions, dans ce jeu d'échec mondial perturbe autant qu'il redistribue les cartes.
De 1991 à 2012, au centre du cercle formé depuis toutes ces années avec ses «amis» protagonistes de cette histoire, les événements vont ponctuer la vie d'Henri, à la fois acteur et spectateur, équilibriste sur le fil tendu du destin, parmi les pièges, les rapports de force et les enjeux cachés.
Quand je l'ai connu, Jean Pierre Millefeuille habitait déjà depuis longtemps rue Antoine-Bourdelle, une petite rue à côté de la gare Montparnasse. Conversations, échanges. Séduction réciproque. Pas du tout le vieux crispé sur ses acquis de pensée, ses habitudes. Une fois j'allai chez lui avec Zoé, la fille d'une amie. Après Zoé me dit, Je ne sais pas si je l'aime, non vraiment je ne sais pas.
Pourtant elle retourna le voir, et emmena même Léo, un amoureux. C'est là que tout a commencé.
« Gray était amoureux. Anna, non. Gray dormait mal. Il errait dans la maison, contemplait ses verres d'eau ou la surface de son bain dans l'espoir de la voir lentement apparaître, comme une inconnue photographiée émerge peu à peu, affleure dans un bac de développement. Il se découvrit tout un imaginaire, toute une érotique des chambres noires. Anna lui manquait toujours, même lorsqu'elle était là. Il la sentait circuler autour de lui, la nuit ; en lui, même - sous son autre nature, volatile, caressante, chimique. »
Gray est l'amant de la blonde Anna, qui vient de divorcer du célèbre auteur des Narcissiques anonymes, John Volstead. À la mort de ce dernier, une ligne du testament charge implicitement le jeune homme d'une enquête.
Érudit et ludique, La Blonde et le Bunker est aussi un grand roman d'amour.
«L'après-midi est paisible. Un peu de vent déplace un journal publicitaire. Le faux-poivrier, devant mon balcon, a moins belle allure que les années précédentes : fin décembre, il s'est fendu en deux sous le poids de la neige. Le rouge-gorge de 11 h 49 n'y vient plus chanter...
Cinq messieurs devant la mosquée. Jusqu'à cinq personnes, les réunions publiques sont permises en Syrie, tout va bien. Je ne crois pas qu'ils complotent, ou alors spécialement : ils se tiennent par l'épaule et ils s'embrassent. (Tant qu'on n'y interdit pas les associations étroites, sans souci de genre, à deux, voire à trois, un pays reste vivable de mon point de vue.)
Un balayeur vient d'abandonner sa poubelle rouge et vert à deux tonneaux pour aller s'allonger derrière un arbre...» A. B.
Les dames ont été malheureuses en 2011 : Alain Bonnand, qui habitait Damas, qui vivait là, en direct, les débuts de la révolte syrienne, a réservé tout son courrier à son ami le philosophe nihiliste Roland Jaccard.
Quarante-sept lettres, comme autant de chapitres : L'enfumeuse. Le soleil renonce à l'actualité. Prenons Marie, qui n'est pas femme de chambre. Combien de Maud en Syrie ? Valse pour un rachat. L'ambassadeur file au but. Petites poules à la guerre. Ente foutdouli la koul ishi, habibi ? Barouf à Malki. Nizar est connu au cimetière...
«J'ai envie de vomir.
J'ai toujours été en galère dans les moyens de transport, quels qu'ils soient. J'ai mal au coeur en bateau, bien sûr, mais aussi en avion, en voiture... Alors là, allongé sur le dos à contresens de la marche, c'est un vrai calvaire.
Nous sommes le 11 août et il doit bien faire 35 degrés dans l'ambulance. Je suis en sueur, mais pas autant que l'ambulancier qui s'affaire au-dessus de moi ; je le vois manipuler des tuyaux, des petites poches et plein d'autres trucs bizarres. Il a de l'eau qui lui glisse sur le visage et qui forme au niveau du menton un petit goutte-à-goutte bien dégueulasse.
Je sors tout juste de l'hôpital où j'étais en réanimation ces dernières semaines. On me conduit aujourd'hui dans un grand centre de rééducation qui regroupe toute la crème du handicap bien lourd : paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés...
Bref, je sens qu'on va bien s'amuser.»
À tout juste vingt ans, alors qu'il chahute avec des amis, Fabien heurte le fond d'une piscine et se déplace les vertèbres. Les médecins diagnostiquent une probable paralysie à vie. Il relate ici, dans le style poétique, drôle et incisif qu'on lui connaît, les péripéties truculentes, parfois cocasses, vécues avec ses colocataires d'infortune dans un centre de rééducation pour handicapés. Jonglant entre émotion et dérision, ce récit est aussi celui d'une renaissance.