Le code d'honneur. Comment adviennent les révolutions morales

Le code d'honneur. Comment adviennent les révolutions morales
Appiah Kwame Anthony
Ed. Gallimard

Que partagent trois événements, sinon d'être d'une égale importance historique malgré les apparences : la tombée en désuétude du duel en Grande-Bretagne, l'abandon du bandage des pieds en Chine et la fin de la traite négrière atlantique ?

Ce sont trois révolutions morales, au sens d'une transformation rapide du comportement moral et non pas simplement des sentiments moraux. Elles ont en commun également de ne résulter d'aucun retournement de l'opinion suite à des arguments - politiques, religieux ou moraux - qui, nouveaux, auraient bouleversé les rapports de force : au contraire, depuis longtemps on savait que le duel était meurtrier et irrationnel, le bandage des pieds cruellement mutilant, l'esclavage une atteinte à la dignité humaine. L'important est ailleurs : au coeur de chacune de ces transitions a joué quelque chose que l'on nommait très naturellement « honneur ».

L'honneur est un sujet crucial que la philosophie morale contemporaine a trop négligé : l'amour-propre ou respect de soi est essentiel à toute réflexion sur la question de savoir ce qu'est vivre une vie humaine réussie. Il n'est de société possible que grâce à la reconnaissance, ce besoin partagé par chacun que d'autres nous reconnaissent en tant qu'êtres conscients et nous témoignent que nous les reconnaissons. Ce besoin est au fondement des identités sociales. Hier, ce furent des conceptions de l'honneur national qui dictèrent la fin du bandage des pieds, ce furent des conceptions de l'honneur chez des ouvriers très éloignés des plantations du Nouveau Monde qui pesèrent dans l'abolition de l'esclavage moderne. Demain, qu'est-ce qui fera disparaître au Pakistan les crimes d'honneur ?

Philosophie des possessions

Philosophie des possessions
Didier Debaise, Michael Halewood, David Lapoujade et al.
Ed. Presses du réel

Une série de portraits de penseurs restés en marge des mouvements majoritaires de la philosophie contemporaine, réunis autour du thème de la « possession » : une enquête sur la manière dont les divers modes de possession (toutes opérations par lesquelles des éléments physiques, biologiques, psychiques ou techniques sont intégrés, capturés par un être qui les fait siens) permettent d'envisager des projets de reconstruction métaphysique originaux en dialogue avec des champs d'investigation hétérogènes – de la psychologie expérimentale aux sciences sociales et politiques, en passant par la philosophie de la nature, de la biologie et de la perception.

Ames scrupuleuses, vies d'angoisse, tristes obsédés vol.1

Ames scrupuleuses, vies d'angoisse, tristes obsédés vol.1
castel Pierre-Henri
Ed. Ithaque

Scrupules morbides, remords délirants, angoisses absurdes, rituels compulsifs...Comment les hommes ont-ils soigné les souffrances, voire les folies que la 'conscience morale', suprême valeur del'individu occidental, a suscité en nous, dès son triomphe au XVIIe siècle? Le premier volume de cette étude, qui en comprendra deux, les scrupules du Grand Siècle, Kierkegaard, Esquirol et Janet scandent un parcours qui aboutit à la psychiatrisationde l'obsédé. Une foule inquiète s'y bouscule: Les superstitieux d'Athène et de Rome, les premiers moines en Egypte, une religieuse possédée et son génial confesseur, des enfants qui insultent Dieu, de dignes bourgeois qui étouffent leurs impulsions criminelles, des mystiques et des neurologues, un médecin bien malade, et quelques Sénégalais. Chaque fois, les conflits qui les ravagent révèlent la cruelle fabrique de notre intériorité et le prix psychique dont l'individu moderne l'aura payée.

 

Manger. Besoin, désir, obsession

Manger. Besoin, désir, obsession
Rossi Paolo
Ed. Arléa

Comment se fait-il que, dans certaines régions du monde, on considère comme des mets de choix les fourmis, les sauterelles ou les rats, alors qu'on les regarde ailleurs comme d'immondes horreurs ? [...] Les différences sont fortes et, en partie du moins, insurmontables.

Du cannibalisme au jeûne mystique, des grèves de la faim au vampirisme, de l'anorexie à l'obésité, Paolo Rossi, philosophe italien, explore la multiplicité des thèmes liés à l'alimentation dont il nous révèle l'incroyable complexité anthropologique et culturelle, qui va du plaisir le plus raffiné à une nécessité parfois dramatique, ou à une pathologique obsession.

Il nous raconte avec talent ce que le verbe manger enseigne de l'histoire de l'Humanité.

Somaland

Somaland
Chauvier Eric
Ed. Allia

C'est devenu difficile de faire n'importe quoi.

 'Cette phrase 'ensemble, relativisons nos maux', j'aurais aimé en être l’auteur (grave). Cette phrase, malheureusement, n'est pas de moi, elle est d’un homme, oh (effrayé et affecté) un homme tout simple ! Oh un homme qui n'a pas fait grand-chose ! Si ce n'est vouer sa vie à la paix (petite moue cabotine). Cet homme, c'était monsieur Gandhi (large sourire). Mais, (pause) allez-vous me dire (changeant de ton,mimant soudain l'énervement): Jean-Kevin où nous amenez-vous, nous qui avons quelques hectolitres de pétrole venus souiller notre fleuve, nous qui avons l'impression d'avoir perdu ce qui faisait le charme de ces lieux où nous aimions nous promener en famille, avec le chien et la mamie ?'

Libido sciendi. Le savant, le désir, la femme

Libido sciendi. Le savant, le désir, la femme
de Mulder Caroline
Ed. Seuil

Si le lien entre désir de connaître (libido sciendi) et désir érotique (libido sentiendi) se trouve déjà suggéré dans les Écritures, il devient explicite à partir de la Renaissance et joue un rôle crucial dans la configuration de la science moderne. Il s'agit ici de conter l'histoire de cette relation entre le savant, être désirant, et la femme, image de la Nature - en suivant son évolution dans la littérature, mais aussi dans l'art et le cinéma. C'est toujours le désir qui pousse le savant à vouloir connaître, qu'il soit inventeur de machines amoureuses, eunuque de la science régnant sur un harem de Vénus anatomiques, ou homme au scalpel en quête de cobayes consentantes. Désir érotique, désir de pouvoir aussi, car la femme reste indésirée dans ce cercle du savoir.

À une époque où la Nature fait plus que jamais les frais de notre mode de vie et où le silicone injectable a la part belle, cet essai montre à l'évidence que la recherche scientifique n'a pas pour seule source le projet de connaissance rationnelle : elle a partie liée avec une histoire du désir et du sentiment.

Les opérations du droit

Les opérations du droit
Thomas Yan
Ed. Seuil, Gallimard

Yan Thomas, historien du droit romain, fut le juriste le plus sensible à ce qu'il appelait les « opérations du droit », ces techniques inventées afin de mettre en rapport les personnes et les choses pour retrouver l'architecture du monde social. Ces opérations qu'il avait dégagées de l'analyse d'une grande diversité de sources, textuelles comme matérielles, sont au sens propre du terme des outils qui s'émancipent des événements qui les ont suscités et n'ont, à ce titre, rien perdu de leur actualité : à l'inverse de la temporalité des règles de droit, le temps des opérations est un temps long.

Penseur aussi prolifique qu'inclassable, Yan Thomas privilégiait la concision et la densité de l'article : ce recueil présente certains de ses textes majeurs, écrits entre 1986 et 2006. L'ouvrage est d'abord consacré au fait d'instituer : la cité et la nature, l'une et l'autre instituées par le droit, mettent en lumière la capacité à réinventer le réel par des artifices. Yan Thomas montre comment le droit sépare la sphère des activités vouées à l'échange, au commerce, de celle où certains espaces et certains biens sont inaliénables. Ensuite, par la mise en scène de ces limites et d'exceptions, il parvient à dégager les règles de l'ordinaire et à ordonner les réponses et les fictions juridiques qui régissent les sociétés. Yan Thomas élabore ainsi un projet intellectuel où le droit est conçu comme un instrument pour penser autre chose que le droit.

Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard

Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard
Stéphane Beaud, Michel Pialoux
Ed. Découverte

Que sont devenus les ouvriers ? Objet de toutes les attentions depuis la révolution industrielle jusqu'aux années 1980, les travailleurs d'usine n'intéressent plus grand monde après l'échec du projet communiste et l'effondrement de leurs bastions industriels. Brisée dans son unité, démoralisée, désormais dépourvue de repères politiques, méprisée par ses enfants, la classe ouvrière vit un véritable drame - à l'écart des médias. Les ouvriers continuent pourtant d'opposer avec un succès relatif certaines de leurs traditions de résistance à la dynamique qui les détruit.

Cette remarquable enquête, sensible et documentée, fait toute sa place à la parole ouvrière pour rendre hommage à ces hommes et à ces femmes dont la dignité est aussi imposante que celle dont firent preuve leurs parents à l'heure des victoires. Treize ans après sa première édition, alors que le monde ouvrier n'en finit plus de subir l'impact dévastateur de ce capitalisme financiarisé dans le cadre duquel une petite minorité de puissants actionnaires dicte sa loi aux managers et aux peuples, cet ouvrage n'a rien perdu de son actualité. Il permet de comprendre la réalité ouvrière d'aujourd'hui et peut servir de garde-fou contre la dénégation plus ou moins subtile de son existence dans l'espace public.

La société des égaux

La société des égaux
Rosanvallon Pierre
Ed. Seuil

Nous vivons aujourd'hui une véritable contre-révolution. Depuis les années 1980, les plus riches n'ont en effet cessé d'accroître leur part des revenus et des patrimoines, inversant la précédente tendance séculaire à la réduction des écarts de richesse.

Les facteurs économiques et sociaux qui ont engendré cette situation sont bien connus. Mais la panne de l'idée d'égalité a aussi joué un rôle majeur en conduisant insidieusement à délégitimer l'impôt et les actions de redistribution. Du même coup, la dénonciation d'inégalités ressenties comme inacceptables voisine avec une forme de résignation et un sentiment d'impuissance. Il n'y a donc rien de plus urgent que de refonder l'idée d'égalité pour sortir des impasses du temps présent.

L'ouvrage contribue à cette entreprise d'une double façon. En retraçant l'histoire des deux siècles de débats et de luttes sur le sujet, il apporte d'abord un éclairage inédit sur la situation actuelle. Il élabore ensuite une philosophie de l'égalité comme relation sociale qui permet d'aller au-delà des théories de la justice qui, de John Rawls à Amartya Sen, ont jusqu'à présent dominé la réflexion contemporaine. Il montre que la reconstruction d'une société fondée sur les principes de singularité, de réciprocité et de communalité est la condition d'une solidarité plus active.

L'origine des systèmes familiaux

L'origine des systèmes familiaux
Todd Emmanuel
Ed. Gallimard

Tome I. L'Eurasie

Au commencement, Emmanuel Todd eut la volonté de montrer que la diversité des structures familiales traditionnelles explique les trajectoires de modernisation : la famille nucléaire absolue anglaise fut le substrat de l'individualisme et du libéralisme politique ; la famille nucléaire égalitaire du Bassin parisien légitimait l'idée a priori d'une équivalence des hommes et des peuples ; la famille souche fut en Allemagne et au Japon le socle d'idéologies ethnocentriques ; la carte du communisme, enfin, recouvrait celle de la famille communautaire. Mais comment expliquer cette fragmentation de l'espèce humaine, sinon en remontant à une unicité première, si elle avait jamais existé ?

Au terme d'une enquête menée depuis plus de vingt ans, impliquant l'examen des organisations familiales de centaines de groupes humains préindustriels dans les diverses régions de l'Eurasie (la Chine, le Japon, l'Inde, l'Asie du Sud-Est, l'Europe, le Moyen-Orient en remontant jusqu'à la Mésopotamie et à l'Égypte ancienne), et grâce à une anthropologie diffusionniste et non plus structuraliste, Emmanuel Todd identifie une forme originelle, commune à toute l'humanité : la famille nucléaire, prise dans un réseau de parenté indifférencié, traitant les hommes et les femmes comme équivalents.

Empruntant à la linguistique le principe du conservatisme des zones périphériques, il montre alors que l'Europe, aux marges de l'Ancien Monde, est sur le plan familial un conservatoire de formes archaïques, assez proches de la forme originelle. Ayant échappé à des évolutions familiales paralysantes pour le développement technologique et économique, l'Europe a été, paradoxalement et durant une brève période, « en tête » de la course au développement, bien que l'Occident n'ait inventé ni l'agriculture, ni la ville, ni le commerce, ni l'élevage, ni l'écriture, ni l'arithmétique.

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