Cet ouvrage couvre un ensemble de questions posées par le clonage, la décision d'arrêt et de limitation de traitement, l'euthanasie et le suicide assisté, la prise en charge des grands vieillards et des personnes handicapées, la procréation médicale assistée, les thérapies géniques germinales et somatiques. Son originalité est que la bioéthique est étudiée du point de vue de la philosophie politique. Les principes qui guident les pratiques médicales sont explicités et les dilemmes relatifs aux biotechnologies sont examinés en fonction des choix de société et des valeurs qui soutiennent nos institutions. Il s'agit d'évaluer les propositions de lois en se fondant sur la description des valeurs phares d'une communauté politique. L'objectif est de dépasser à la fois la bioéthique religieuse et l'éthique minimale. Ce travail passe par la déconstruction de l'éthique de l'autonomie qui subordonne la dignité à la possession de la raison, à la maîtrise de soi et à la compétitivité et colporte des représentations négatives de la vieillesse et du handicap qui s'opposent à l'idéal de solidarité affiché par certaines institutions. À cette éthique de l'autonomie s'oppose une éthique de la vulnérabilité inspirée par la philosophie de Levinas et par l'accompagnement des personnes en fin de vie et des malades atteints d'affections dégénératives du système nerveux. Cette réflexion sur les fondements de l'éthique et du droit conduit à reconfigurer les notions d'autonomie et de dignité et à enrichir l'anthropologie sous-jacente à la philosophie des droits de l'homme.
L'éthique de la vulnérabilité, qui repose sur la définition de la subjectivité comme sensibilité, ne supprime pas le sujet, mais elle invite à le penser à la lumière d'une triple expérience de l'altérité : l'altérité du corps propre l'altérité liée à l'autre homme et à ma responsabilité pour lui la déréliction qui ne renvoie pas seulement à la perte de soi et à l'aliénation, comme chez Heidegger, mais souligne l'importance des relations sociales. Solidaire de la dénonciation de certains traitements infligés aux animaux, cette éthique de la vulnérabilité peut inspirer le politique et promouvoir un humanisme où notre responsabilité s'étend aux vivants non humains et aux générations futures.
Le cours intitulé «Le courage de la vérité» est le dernier que Michel Foucault aura prononcé au Collège de France, de février à mars 1984. Il meurt quelques mois plus tard, le 25 juin. Ce contexte invite à entendre dans ces leçons un testament philosophique, d'autant plus que le thème de la mort est très présent, notamment à travers une relecture des dernières paroles de Socrate («Criton, nous devons un coq à Esculape !»), que Foucault, avec G. Dumézil, comprend comme l'expression d'une profonde gratitude envers la philosophie, qui guérit de la seule maladie grave : celle des opinions fausses et des préjugés. Ce cours poursuit et radicalise des analyses menées l'année précédente. Il s'agissait alors d'interroger la fonction du «dire-vrai» en politique, afin d'établir, pour la démocratie, un certain nombre de conditions éthiques irréductibles aux règles formelles du consensus : courage et conviction. Avec les cyniques, cette manifestation du vrai ne s'inscrit plus simplement à travers une prise de parole risquée, mais dans l'épaisseur même de l'existence. Foucault propose en effet une étude décapante du cynisme ancien comme philosophie pratique, athlétisme de la vérité, provocation publique, souveraineté ascétique. Le scandale de la vraie vie est alors construit comme s'opposant au platonisme et à son monde transcendant de Formes intelligibles.
«Il n'y a pas d'instauration de la vérité sans une position essentielle de l'altérité. La vérité, ce n'est jamais le même. Il ne peut y avoir de vérité que dans la forme de l'autre monde et de la vie autre.»
«Hautes Études» est une collection de l'École des hautes études en sciences sociales, des Éditions Gallimard et des Éditions du Seuil.
Il est impossible de définir l'image : tel est l'un des premiers «enseignements» du Sophiste de Platon. Mais à défaut de pouvoir la définir, peut-on déjà la dire, l'affirmer comme image de quelque chose, la faire apparaître dans et par le langage ? Si l'image est du côté du non-être car de l'apparence, le langage la fait, lui, nécessairement advenir à l'être. Dès lors, chercher à savoir ce qu'est une image, serait-ce chercher à savoir ce qu'est en parler ?
Tel est l'axe de recherche adopté ici : explorant les définitions de l'image formulées par Platon dans le Sophiste et le rôle particulier assigné, dans la République, au regard, le présent ouvrage nous propose de comprendre en quoi il est nécessaire, pour définir l'image, de savoir en parler et ce qu'est en parler. Le langage, lui aussi, montre, se fait image : c'est donc sur la dimension visible du langage qu'il faut travailler. Cette parole visible signale en effet un usage étrange, bizarre, inhabituel du langage, qui suppose que dire va nécessairement de pair avec voir, comme voir requiert de savoir dire ce qu'on voit.
Attentive aux usages platoniciens de l'image, cette analyse du lien entre voir et dire nous initie à une autre lecture de Platon, lecture où sensible et intelligible ne sont plus opposés mais conciliés et où la pensée peut déterminer l'identité sans s'enfermer dans une logique de contraires. Elle nous livre par là même les premiers jalons d'un travail précis et approfondi de définition de l'image dans le discours philosophique ancien.
'Je suis en train d'écrire une pièce sur une femme qui danse nu-pieds dans le sang d'un homme qu'elle désirait et qu'elle a tué.' Voilà comment Oscar Wilde envisageait Salomé, la tragédie créée au théâtre de l'Oeuvre, à Paris, en 1896. Pourquoi cet homme de lettres dont tout Londres raffole pour la drôlerie caustique de ses comédies se lance-t-il dans la rédaction d'une tragédie, qui plus est en français et sur un thème biblique ? Quelle peut être la relation profonde entre cette folie d'écriture et cette autre tragédie, bien réelle, qu'il va bientôt vivre à l'occasion du procès infortuné qu'il intentera au père de son amant ? Que veut dire vivre, lorsqu'on écrit, et écrire, lorsqu'on veut vivre tel qu'on est, quitte à braver la société tout entière ?
Frank Pierobon propose de nouveaux éclairages sur les différentes situations d'écriture et de théâtralité entre lesquelles Oscar Wilde jonglait jusqu'à se perdre.
Les études ici rassemblées visent à évaluer la légitimité et la pertinence de deux concepts usuels, le moi et l'intériorité, dans l'Antiquité grecque principalement.
De ce moi qui occupe d'abondance le champ littéraire et philosophique, on dit communément qu'il est absent de la pensée antique. On se propose d'abord d'interroger, pour éventuellement la remettre en question, cette curieuse absence. Y a-t-il place, dans le champ antique, pour autre chose que le «soi», cet impersonnel dégagé des particularités biographiques qui excède l'individu tout en recelant son identité ? Dans quels concepts antiques est-on fondé à repérer, autrement distribués, les éléments du concept moderne de moi ? Quels sont ceux qui, à l'inverse, lui sont abusivement ralliés ? Plutôt qu'une place vide, ne trouve-t-on pas, chez les Anciens, un concept alternatif du moi, délié de l'unicité comme de l'intériorité ?
La seconde partie de ce volume vient orienter le programme indiqué par Jean-Pierre Vernant d'une «histoire de l'intériorité et de l'unicité du moi» vers une histoire de l'intériorité, c'est-à-dire une histoire des problématisations de l'intérieur. Si l'organisation mentale et psychique des Grecs n'était pas orientée vers le dedans, mais vers le dehors, si l'introspection n'est pas une pratique de fait, comment est apparue l'alliance entre subjectivité et intérieur que nous présupposons le plus souvent ? Il importait alors d'illustrer combien cette problématisation de l'intérieur n'est pas exclusive et d'identifier comment les associations qui la composent peuvent être dénouées, au profit parfois d'un tout autre paysage conceptuel.
Depuis toujours, l'homme est en quête d'un miroir dans lequel il pourrait trouver, enfin ramassée et comprise, l'image de sa propre identité éparse. L'élément d'une telle recherche, il le trouve dans le langage, et avant tout dans deux formes privilégiées de celui-ci : la philosophie et la littérature ; la première cherchant à tout enclore dans un seul concept, et la seconde dans une forme unique. Mais, dans ses manifestations les plus hautes, chacune de ces deux tentatives reste secrètement hantée par l'autre, comme tentent de le montrer, à propos de la littérature, les essais ici réunis. On pourra trouver différentes versions de cette image récapitulatrice dans laquelle se condensent, pour l'homme, non seulement ce qu'il est, mais plus généralement (ou plus singulièrement ?) ce qui est. Elle pourra être l'image d'une chose, d'un infiniment petit résumant tout - la terre de l'alchimiste (cet écrivain involontaire, mais absolu), le point de Pascal, l'atome séminal de Diderot ou de Hugo. Elle pourra être aussi l'image d'un acte sacré - soit bénéfique, soit transgressif - d'une fête liturgique dont Wagner, Mallarmé, Proust tenteraient de fixer le rituel, alors que Barbey ou Gracq y maintiendront l'obsession fasciné du sacrilège. Elle pourra enfin me mettre en présence de quelqu'un, d'une individualité souveraine qui est simultanément toutes les autres et dont on peut donc dire qu'elle est divine : l'Homme-Dieu de Hölderlin et Kierkegaard, apparemment si étrangers l'un à l'autre, l'Ange de Rilke. Dans ce dernier type d'exemples, ce n'est du reste plus à une image que le lecteur a affaire, mais au miroir lui-même devant lequel (et dans lequel) il se trouve traduit et où il rencontre la mesure de son destin comme l'assignation de sa tâche. De ces miroirs - beaucoup sont aujourd'hui brisés - les images évanouies, les fêtes éteintes. Ce recueil est un hommage modeste, mais nostalgique, aux minutieux microcosmes dans lesquels une humanité plus ambitieuse avait essayé - peut-être avec succès - de cerner son énigme.
À travers un voyage littéraire et politique qui conduit le lecteur de Manille à Madrid, en passant par Hong Kong, Yokohama, Vienne, Barcelone, Paris, Singapour, le grand historien Benedict Anderson raconte comment, à la fin du XIXe siècle, a pris corps le rêve d'indépendance des peuples colonisés, nourri par l'anarchisme européen. Il décrit un monde en pleine ébullition, où les idées circulent, du nord au sud et du sud au nord, au gré de rencontres, de lectures et de combats politiques partagés.
Les Bannières de la révolte est une oeuvre puissamment originale, un grand récit de la première mondialisation.
La science économique n'a de cesse de nous montrer l'homme comme un agent dont les choix traduiraient la poursuite rationnelle de son intérêt. C'est à ce postulat fondamental que s'attaque le présent traité, dont Le Désintéressement est le premier volume. L'ambition de ce livre est de démontrer que les motivations désintéressées sont plus importantes dans la vie sociale que ne le conçoivent les modèles économiques aujourd'hui dominants. Théoriquement séduisants, ceux-ci s'avèrent en effet empiriquement faibles pour expliquer les comportements réels. Mais Jon Elster ne se contente pas de souligner la distance de la théorie à l'expérience observée. Dissipant les soupçons qui pèsent souvent sur elles, il distingue aussi positivement les différentes formes de désintéressement qui façonnent nos choix, aussi bien dans la vie quotidienne ou dans les urnes que dans des situations extrêmes. Il emprunte, pour ce faire, autant aux moralistes français du XVIIe siècle et à la philosophie politique du XVIIIe qu'à la littérature, à la psychologie expérimentale ou à la théorie des jeux.
L'émergence de l'école de Kyoto (Nishida, Tanabe, Nishitani) marque un tournant décisif dans l'histoire des idées. Ce courant de pensée constitue la première contribution consistante et originale du Japon à la pensée philosophique de type occidental, tout en l'enrichissant d'une perspective spécifiquement orientale, remontant aux sources chinoises et indiennes de celle-ci, et articulée autour de la notion de néant - souvent présenté comme un pendant asiatique à l'être occidental. Cet effort philosophique, élaboré au confluent des traditions d'Occident et d'Orient, représente un véritable défi, structuré et bien informé, pour la redéfinition même de l'histoire de la philosophie et du projet philosophique. Le fait que les années de formation de ce courant de pensée coïncidèrent avec une période de nationalisme et de militarisme intenses au Japon a retardé sa reconnaissance tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières du pays. À l'aube du XXIe siècle, les malentendus qui ont pu entourer ce courant de pensée sont enfin levés et les enjeux philosophiques (ontologiques et religieux) de sa production peuvent enfin être abordés sereinement.
Ces entretiens restituent un échange et des débats qui montrent ce qu'est le savoir en sciences humaines et sociales rapporté à un long parcours de recherche et d'engagement. Ils ont leur source dans une interrogation du monde et de l'Histoire, l'un saisi dans sa diversité, l'autre dans ses turbulences.
Ce parcours est celui de Georges Balandier. Il accompagne la traversée d'une oeuvre qui, commencée avec l'anthropologie des sociétés de l'ailleurs, mène à l'interprétation actuelle de la surmodernité mondialisante : on y mesure l'itinéraire accompli, depuis les premiers travaux sur la 'situation coloniale', le 'tiers monde' et les libérations africaines, jusqu'aux interrogations portant sur le 'grand dérangement' des sociétés contemporaines. On y mesure également la fracture anthropologique effectuée au tournant du XXe siècle et l'entrée subreptice dans un nouvel Age, avec l'émergence rapide de 'nouveaux nouveaux mondes' dissociés de la géographie et issus de la 'grande transformation' continûment à l'oeuvre depuis trois décennies. Ces mondes, nous les habitons dans un dépaysement croissant, à tel point qu'ils en deviennent un autre ailleurs, engendré cette fois par les contemporains.