L'existence nue. Essai sur Kant

L'existence nue. Essai sur Kant
Cariolato Alfonso
Ed. Transparence

L'existence en tant que position (Setzung) absolue de la chose est ce qui reste hors - bien qu'il y soit indissolublement lié - du système kantien, lequel cherche à construire l'expérience à partir de ce que la métaphysique appelle représentation. Cette construction se fonde elle-même sur une position, non point ontologique, mais intellectuelle, au moyen de laquelle le sujet pose l'objet à partir de ses propres structures a priori. Or, là où il semble que le dehors soit complètement asservi aux lois de la pensée, à savoir dans le système de tous les principes de l'entendement pur, il apparaît qu'une telle priorité de la pensée représentative n'est possible que si l'entendement « pose » l'objet sur le « rien de données » de la chose. Cela veut dire que, chez Kant, la pure et simple impossibilité de définir directement la position d'existence constitue la promesse d'une pensée du pur survenir de la chose, du temps vide, de la création ex nihilo, de la chose en soi et de mon existence en tant qu'autre.

Max Weber et Karl Marx

Max Weber et Karl Marx
Löwith Karl
Ed. Payot

Max Weber et Karl Marx publié en 1932 est le premier portrait parallèle des deux penseurs. Dans cet ouvrage, il importe à Karl Löwith de faire appréhender la constitution capitaliste de l'économie et de la société modernes. En dépit de leurs différences, un trait commun relie le sociologue 'bourgeois' au révolutionnaire communiste. L'un et l'autre se donnent pour objet la société moderne en tant que société capitaliste bourgeoise. Insistance sur le capitalisme d'autant plus forte que pour Weber comme pour Marx, la formation sociale capitaliste 'embrasse l'homme contemporain dans le tout de son humanité'.

Il s'agit dans cet essai de remédier à une double perte. D'une part, recouvrer la radicalité de l'analyse critique de Marx effacée par la vulgate marxiste, de l'autre réactiver les thèmes premiers de Weber. Tableau contrasté donc : du côté de Weber, une interprétation du capitalisme à partir de la rationalisation, du côté de Marx, une critique unitaire du capitalisme qui prend pour fil conducteur l'aliénation de soi, le coeur de la pensée marxienne selon Karl Löwith. Si l'on tient compte du fait que pour Weber la raison peut s'inverser en son contraire, une rencontre ne se produit-elle pas avec Marx et le phénomène de l'aliénation de soi ? Mais tandis que Weber invite à un renoncement pour préserver la liberté attachée à la rationalité, Marx appelle à un renversement révolutionnaire. Selon le préfacier Enrico Donaggio, soit la liberté de tous, après le capitalisme, soit la dignité de quelques-uns, malgré le capitalisme. Il n'en reste pas moins qu'un étrange échange existe entre les deux penseurs, comme si la langue de la rationalisation pouvait se traduire dans la langue de l'aliénation de soi et inversement.

La traduction de cet ouvrage paraît particulièrement bienvenue. A travers ce que l'on appelle 'la crise' une évidence revient en force, à savoir que nous vivons sous l'emprise du capitalisme tel qu'il contribue à déterminer le destin humain du monde contemporain. Weber, Marx, deux oeuvres qui, au-delà de leurs différences, circonscrivent au mieux 'la tragédie de la modernité'., rationalisation ou aliénation de soi ou jeu croisé des deux.

Le préfacier italien, Enrico Donaggio, spécialiste de Karl Löwith, retrace dans un précieux avant-propos l'itinéraire intellectuel de l'auteur. Premier élève de Heidegger, marqué par le charme enchanteur de Max Weber, Karl Löwith conçoit le projet d'une anthropologie philosophique qui s'assigne pour tâche la définition de la condition humaine à la lumière de la condition moderne. La lecture des écrits du jeune Marx à partir de 1927 l'engage à élargir cette analyse de la relation intime de l'émitié et de l'amour au champ politique et social. De là l'écriture de l'ouvrage désormais classique, Max Weber et Karl Marx où Enrico Donaggio perçoit 'deux trouées d'espérance' pour celles et ceux qui se refusent à considérer le capitalisme comme notre inéluctable destin.

Le temps presse. Du culte à la culture

Le temps presse. Du culte à la culture
Taubes Jacob
Ed. Seuil/Traces écrites

Ce recueil présente la pensée de Jacob Taubes (1923-1987) à travers des textes écrits durant trente ans. Il illustre ses différents domaines d'intervention polémique, de la théologie à la psychanalyse, en passant par la philosophie de l'histoire, de Nietzsche à Freud en passant par Gershom Scholem ou Carl Schmitt. Ainsi s'esquisse une philosophie de la culture dans son rapport d'opposition au culte. Le moteur qui lui donne son impulsion est la Gnose et la vision apocalyptique selon laquelle le futur est destruction du présent : la pensée du temps est pensée de l'état d'exception.

«Pour le dire de manière ramassée, la définition, donnée par la philosophie classique, de ce qu'est le Monde, de ce qu'est le Temps, et qui a dominé d'Aristote à Hegel, a manqué un point, abordé par Heidegger, mais qu'il n'a pas bien saisi, à savoir la signification de l'Être et du Temps comme Délai. C'est là un héritage de la vision apocalyptique... Cela implique des conséquences pour l'économie et, au fond, pour toute la vie. Il n'y a pas d'éternel retour, le temps ne permet aucune insouciance, mais il est tourment, le temps presse.»

Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire La phénoménologie de l'Esprit de Hegel

Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire La phénoménologie de l'Esprit de Hegel
Martin Jean-Clet
Ed. Empêcheurs de penser en rond

La doctrine de Hegel a la réputation d'être obscure. Sa philosophie suit le fil d'une « histoire racontée » très différente de la pensée démonstrative qui ne saisit guère les aventures d'un concept. Hegel sera le premier à mettre en haleine le mouvement de toute pensée, lui conférant ainsi le sens d'une Histoire qui comporte différentes scènes, souvent meurtrières. À partir de la défense d'un criminel, Hegel a montré que la philosophie est toujours une pensée très concrète, tandis que l'abstraction et la précipitation sont du côté de l'opinion populaire, du jugement de la foule.

Ce sont des images, parfois funestes, que l'auteur a détaillées avec précision : agressivité de l'animal, violence du maître, outrages de Bacchus, mort d'Antigone, celle d'un roi, meurtre de Dieu ou mort de l'homme... Pour Hegel, toute création conceptuelle se traduit par un crime : elle se nourrit du corps de son ennemi comme une araignée « s'enrichissant jusqu'à ce qu'elle ait arraché toute la substance à la conscience, sucé et ingéré tout l'édifice de ses essentialités ».

Cette intrigue, l'auteur la suit en sa richesse époustouflante, réintégrant Hegel à l'intérieur de la philosophie contemporaine qui l'a injustement refoulé, au profit de Nietzsche dont pourtant il permet de renouveler l'approche. Cette lecture nouvelle et intégrale de la Phénoménologie de l'Esprit montre un Hegel penseur du nihilisme, de la mort de Dieu et de l'homme submergé par sa foi naïve dans l'économie capitaliste naissante.

La fin dans le monde

La fin dans le monde
Deguy Michel
Ed. Hermann

La fin est double et donc duplice : but poursuivi (télos) et achèvement (terminus), césure. En surimpression dans notre langue à la faveur d'une homophonie, la faim projette sa hantise, comme le Cri de Munch, sur le spectaculaire diorama de l'époque. La fin épuiserait la faim.

On se demande comment ça pourrait finir. Nombre de scenarii envisagent les derniers jours, le dernier homme. Il n'est pas impossible d'imaginer une fin par atélie et par hypertélie associées. L'atélie, c'est quand les fins professées «dernières» par l'économie-monde partent en fumée comme le «supplément d'âme» ou les fameuses «valeurs» épuisées d'entrechocs, de mépris et d'anorexie, et que reste seule, mise à nu par ses célibataires, la machine infernale production-consommation, qui ne se soucie bientôt plus de ses alibis. L'hypertélie (qui causa, nous dit la vulgarisation scientifique, la mort de gigantesques mammifères il y a des millions d'années), c'est quand le prédateur surdimensionné avale la «nature» et écrase la terre : la créature terrestre s'immortalise en s'émondant avec son génie génétique et ses prothèses.

La fin, ou sens, réserve à la pensée son secret difficile à instruire à chaque grand âge, dans une proportion d'or de fini et d'infini - comme le formule Pascal dans son énigme : «l'homme passe infiniment homme». Comment faire proportion par les temps qui courent ?

L'alliance radicale de la pensée poétique et de la pensée écologique s'exerce aux paradoxes d'une telle proportion. On en trouve des esquisses dans le présent essai, études et lectures.

Comment la vérité et réalité furent inventées

Comment la vérité et réalité furent inventées
Jorion Paul
Ed. Gallimard/Bibliothèque des sciences humaines

Cet essai ambitieux se veut une contribution à l'anthropologie des savoirs. Paul Jorion y propose un exercice de décentrement radical par rapport à nos habitudes de pensée. Il montre comment les notions de « vérité » et de « réalité », loin d'aller de soi, sont apparues à des moments précis de l'histoire dé la culture occidentale.

La « vérité » est née dans la Grèce du IVe siècle avant Jésus-Christ, et la « réalité » (objective), dans l'Europe du XVIe siècle. L'une découle de l'autre : à partir du moment où s'impose l'idée d'une vérité, sous l'influence de Platon et d'Aristote, dire la vérité revient à décrire la réalité. Selon Paul Jorion, cette dernière résulte toutefois, sous sa forme moderne, d'un coup de force opéré à la Renaissance par les jeunes-turcs de l'astronomie moderne naissante. Ce coup de force supposait une assimilation de deux univers : le monde tel qu'il est en soi et celui des objets mathématiques. Il en résulta une confusion entre les deux, dont la science contemporaine est l'héritière.

À suivre l'auteur, nous sommes entrés dans l'époque des rendements décroissants de ces « inventions » jadis fructueuses. D'où la nécessité de débarrasser l'entreprise de construction des connaissances du mysticisme mathématique et de réhabiliter la rigueur dans le raisonnement. Celle-ci exige de réassigner au modèle, en particulier mathématique, son statut de représentation au sein de l'esprit humain. L'ouvrage constitue ainsi un plaidoyer en faveur d'un « retour à Aristote », situant l'auteur dans une tradition philosophique où l'on côtoie Hegel et Kojève, mais aussi Wittgenstein.

Jeux finis et infinis

Jeux finis et infinis
Delahaye Jean-Paul
Ed. Seuil

Les mathématiques gouvernent aussi bien les jeux classiques, comme les dames ou le jeu de Nim, que des divertissements plus sophistiqués, tels les livres sans fin à la Borges, les pavages géométriques, ou encore les transformations d'images infographiques. Autant d'activités ludiques, mais souvent riches d'applications sérieuses.

L'originalité de cet ouvrage est de mettre l'accent sur les jeux de la pensée avec l'infini, cette notion aux aspects déraisonnables et pourtant rigoureux. Présentant des développements récents, il propose aussi des commentaires historiques et épistémologiques, et aide à utiliser l'informatique pour étudier, pratiquer ou apprendre de nouveaux jeux, et prouver des résultats novateurs sur des jeux connus.

L'esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total

L'esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total
Supiot Alain
Ed. Seuil

Les propagandes visant à faire passer le cours pris par la globalisation économique pour un fait de nature, s'imposant sans discussion possible à l'humanité entière, semblent avoir recouvert jusqu'au souvenir des leçons sociales qui avaient été tirées de l'expérience des deux guerres mondiales. La foi dans l'infaillibilité des marchés a remplacé la volonté de faire régner un peu de justice dans la production et la répartition des richesses à l'échelle du monde, condamnant à la paupérisation, la migration, l'exclusion ou la violence la foule immense des perdants du nouvel ordre économique mondial. La faillite actuelle de ce système incite à remettre à jour l'oeuvre normative de la fin de la guerre, que la dogmatique ultralibérale s'est employée à faire disparaître. Ce livre invite à renouer avec l'esprit de la Déclaration de Philadelphie de 1944, pour dissiper le mirage du Marché total et tracer les voies nouvelles de la Justice sociale.

La philosophie et l'événement

La philosophie et l'événement
Badiou Alain
Ed. Germina

«J'ai compris assez récemment cette incroyable obstination de Platon à démontrer que le philosophe est heureux. Le philosophe est plus heureux que tous ceux qu'on croit plus heureux que lui, les riches, les jouisseurs, les tyrans. Ce que cela signifie est assez clair : le philosophe expérimentera, de l'intérieur de sa vie, ce qu'est la vraie vie.»

Alain Badiou est l'un des philosophes contemporains les plus importants, auteur en particulier de L'être et l'événement, (Seuil, 1988) et de Logiques des mondes (Seuil, 2006), livre qui fait suite au précédent. Nous embarquerons ici pour un voyage au coeur de sa pensée. Répondant aux questions de Fabien Tarby, Alain Badiou nous fait parcourir une trajectoire qui croise et explore les quatre conditions de la philosophie : la politique, l'amour, l'art et les sciences. Le philosophe fait, en outre, le bilan de ses grandes oeuvres et parle de son livre en projet, L'immanence des vérités, qui serait le troisième volume de l'oeuvre commencée avec L'être et l'événement.

Mais quel est donc ce trajet de vie et de pensée qui se nomme «philosophie» ?

La vérité captive. De la philosophie

La vérité captive. De la philosophie
Caron Maxence
Ed. Cerf

Système nouveau de la philosophie et de son histoire passée, présente et à venir, La Vérité captive - De la philosophie est une oeuvre neuve, en son contenu comme en sa langue : La Vérité captive construit un édifice de Sens, et abolit, par voie de Pensée, toute distinction artificielle entre la foi et la raison, entre la littérature et la philosophie. L'ouvrage propose une relecture intégrale de l'histoire autour d'une ontologie trinitaire, tout en soulignant avec lucidité l'âge critique de l'« outre-modernité » dans lequel l'humanité s'est enfoncée à force de donner créance à « l'immanentisme ». Maxence Caron remonte aux origines historiques conceptuelles qui ont pu ouvrir la crise de l'idéologie contemporaine croyant avoir accompli la vocation de la pensée en l'assignant au dogmatisme relativiste.

Aspirant la totalité de la pensée en un fort mouvement apocalyptique et messianique, dans une langue littéraire renouvelée, d'une tonalité à la fois classique et paradoxale, Maxence Caron entend mettre en évidence les raisons profondes d'une conflagration historique dont l'originalité et l'ampleur n'ont pas été soulignées, et ne suscitent çà et là que plaintes réactionnaires alors qu'elle mérite d'être pensée en son fond et sa source. Prenant appui sur l'ère même qu'inaugure ce livre, la pensée est dite désormais indéfectiblement ouverte, depuis son intériorité même et par sa logique intrinsèque, à la Révélation du Principe. S'initiant d'un trait d'apocalypse et s'achevant sur un poëme mystique, La Vérité captive expose le Système et le regarde simultanément jaillir de l'histoire de la philosophie. L'ensemble bouleverse tout repère stylistique et initie une nouvelle voie, finale. Ce livre souffle du fond des ères et, remontant à l'origine apodictiquement transcendante de tout acte de l'esprit, ouvre de mettre fin aux errances de la pensée.

Newsletter