Un immense enthousiasme accueillit la parution en 1948 d'Aux Confins de la Terre, le chef d'oeuvre classique sur la Terre de Feu qui inspira à Bruce Chatwin l'écriture d'En Patagonie. Cette oeuvre unique, qui relate «plus d'aventures que cent romans», s'est imposée depuis soixante ans comme l'incontournable référence littéraire sur ces régions du bout du Monde et la culture peu connue des Indiens fuégiens.
E. Lucas Bridges naît en 1874 à Ushuaia, en Terre de Feu, à l'extrême Sud de l'Argentine. Une région sauvage, à l'époque grandement inexplorée. Son père, missionnaire anglican, s'y est établi quelques années auparavant avec sa famille. D'immenses étendues de montagnes, forêts et lacs les entourent, qui sont également le terrain de chasse de tribus hostiles et féroces. Lucas grandit parmi les Indiens Yaghans de la côte, apprenant leur langue et leurs usages. Plus tard, jeune homme, il entre en contact avec la tribu redoutée des Onas, devient leur ami et compagnon de chasse et est initié comme guerrier.
La prédiction du critique littéraire du New York Times au moment de la parution de ce livre est à coup sûr encore d'actualité : «Je n'ai aucun doute qu'Aux Confins de la Terre trouvera sa place au panthéon de plusieurs domaines de la littérature : aventure, anthropologie et histoire frontalière».
Que et où suis-je ?
Après avoir revisité un certain nombre de positions classiques sur la nature et le statut du sujet (celle de Descartes notamment) et de réponses possibles à la question de savoir ce que je suis (une personne ? une machine ?), cette enquête développe une théorie originale fondée sur la notion de figures imaginaires.
On y trouvera une façon nouvelle de faire de la philosophie, s'appuyant sur et passant par la fiction. Cette méthode est mise en oeuvre par l'analyse d'une série de figures tirées de la littérature, où sont convoqués des auteurs classiques comme Poe, Maupassant, Nerval, aussi bien que des écrivains de science-fiction comme Wells, Conan Doyle, Stapledon, Ph. K. Dick. S'y ajoutent d'originales fictions imaginées par l'auteur, qui deviennent autant de plans d'expérience philosophique : puis-je, au sens propre, perdre la tête ? être invisible ? intouchable ? habiter un tableau ? être fait de plusieurs morceaux ?
Voici, autour de la question du sujet, un parcours par la fiction d'un pan de la philosophie aussi bien qu'un voyage philosophique à travers la science-fiction.
C'est à un véritable aggiornamento des idées reçues que les auteurs nous invitent. Et d'abord sur la crise : selon eux, la dette des États ne sera jamais remboursée... L'avenir est ouvert aux règlements de comptes financiers entre nations. Nous apparaîtront aux yeux du monde non occidental (que nous considérons besogneux, peuplé d'irresponsables de la concurrence ou de la pollution) comme d'incroyables malhonnêtes.
N'est-ce pas le moment de faire le bilan de notre domination séculaire sur le monde ? Et d'étudier les classes sociales, les alliances et les adaptations incroyablement rapides des bourgeoisies à l'échelle continentale, ainsi que les désaccords entre ouvriers au sujet des délocalisés ou des transfuges de l'immigration, les classes moyennes étant entre les deux, en arbitre...
Les effets du non-remboursement et l'interprétation que les autres peuples en donneront aggraveront probablement une incompréhension réciproque. Les occasions de s'expliquer se sont réduites : la mondialisation ajoute à l'engourdissement des jugements, un cloisonnement figeant l'échange des idées au profit de la libre circulation financière et de celle des marchandises. Le refus de connaître nos voisins, proches ou lointains, nous incite à leur donner des recommandations confondantes : «Privez-vous», «Économisez, épargnez» ! Comment peuvent-ils prendre ça ? Une plaisanterie ? Une insulte ? Un forfait supplémentaire de notre part ?
Entretiens : un exercice inhabituel pour l'auteur des Mythologiques, plus familier des traités savamment ordonnés que des caprices de la conversation imprimée. Caprices qui lui donnent l'occasion de revenir sur les grands thèmes de sa réflexion : le statut de l'anthropologue, la question du « naturel », les fonctions de l'art dans les sociétés primitives et dans nos sociétés.
Jouant le jeu de l'impromptu, tout en suivant le fil de sa pensée, il en propose une présentation claire et brillante, synthétique et précise, qui va à l'essentiel et ouvre de nombreuses portes. Ce texte est une introduction irremplaçable, sûre et complète, à la pensée du plus grand anthropologue de notre temps.
Le livre du professeur Gibellini fait figure de classique. Cette contribution sans équivalent à l'intelligence de l'histoire de la théologie permet de comprendre le chemin parcouru par les différents courants qui ont traversé la théologie au XXe siècle et qui sont encore à l'oeuvre dans la recherche contemporaine. Le XXe siècle apparaît comme l'un des plus inventifs pour la pensée chrétienne. En argumentant avec précision, R. Gibellini explique avec brio les moments les plus significatifs, les grands thèmes et les textes essentiels de la théologie des cent dernières années, depuis la théologie kérygmatique qui s'opposait à la théologie libérale du siècle précédent jusqu'aux élaborations plus récentes : oecuménisme, libération, féminisme.
Au fur et à mesure des chapitres, l'auteur remonte jusqu'à la source de ces différents courants, expliquant les raisons qui ont suscité les renouveaux, en les situant précisément dans l'actualité philosophique et religieuse des différentes époques.
Cet ouvrage est ainsi un guide sûr et indispensable pour ceux qui veulent comprendre les raisons et les formes du débat théologique, avec Barth, Bultmann, Tillich, Schillebeeckx, Chenu, Congar, de Lubac, Balthasar, Boff, Gutiérrez et beaucoup d'autres.
Le sens des nombres. Mesures, valeurs et informations chiffrées : une approche historique
En raison d'une tradition qui remonte à l'Antiquité, les nombres nous apparaissent souvent comme l'objet privilégié de la pensée mathématique et philosophique. Ce prestige particulier fait pourtant oublier que - bien avant qu'ils ne deviennent l'objet de spéculations théologiques ou philosophiques - les nombres ont d'abord été l'outil de la pensée scientifique et économique et qu'ils ont servi à la gestion politique des États.
Les nombres sont l'un des instruments avec lesquels, aujourd'hui encore, nous appréhendons collectivement la réalité.
La longue histoire des nombres et de leur usage ne se réduit pas à la maîtrise d'une série d'objets idéaux ou théoriques : elle est complexe et plurimillénaire. C'est à la découverte de cette histoire que cet ouvrage nous invite et c'est en référence directe à des usages qui restent indissociables d'un contexte culturel, social et politique qu'il y est question du « sens des nombres ».
Toujours accompagnés d'une introduction, les textes historiques réunis dans ce volume sont également pourvus d'un commentaire. Pédagogique, il s'adresse particulièrement aux enseignants et aux formateurs d'enseignants qui s'intéressent à la problématique choisie. Quant à cette dernière, exposée en détail dans chaque introduction, elle renvoie aux recherches contemporaines en épistémologie et en histoire des sciences.
Notre connaissance des mathématiques élaborées voici quelque quatre mille ans sur les rives du Tigre et de l'Euphrate est très récente. Ce n'est que dans la première moitié du siècle dernier qu'en parvenant à déchiffrer des tablettes excavées au cours des décennies antérieures lors de fouilles archéologiques en Mésopotamie (à peu près l'Irak d'aujourd'hui), on fit émerger un continent insoupçonné de savoirs mathématiques.
Les scribes anciens nous ont laissé des tablettes qui posaient systématiquement des problèmes où l'on peut reconnaître des équations quadratiques. C'est depuis lors que l'on parle d'«algèbre babylonienne». Que les tablettes babyloniennes manifestent une connaissance de la résolution des équations quadratiques, c'était hier un résultat. Ce n'est plus aujourd'hui - pour un historien comme Jens Høyrup - qu'un point de départ : il s'attelle à comprendre les subtilités de la langue technique à l'aide de laquelle les algorithmes sont consignés dans les tablettes et montre en quoi les textes cunéiformes rendent également compte des raisons pour lesquelles les opérations sont employées. Notre perception de la nature de ces écrits comme textes techniques s'en trouve profondément modifiée, tout comme l'est notre compréhension de l'activité intellectuelle dont ils témoignent.
Disposant désormais d'outils d'interprétation qui nous permettent de tirer plus amplement parti des traces écrites parvenues jusqu'à nous, nous comprenons mieux la nature des «équations» résolues à Babylone et la forme spécifique d'algèbre cultivée alors dans le croissant fertile. Un monde ancien qui avait disparu ressurgit un peu plus du néant. Un monde qui nous aide à percevoir la bigarrure des pratiques mathématiques et dans lequel nos mathématiques trouvent l'une de leurs racines.
Dans le plan tracé à l'origine par Pierre Hadot pour rassembler ses principaux articles et contributions, un troisième et dernier volume avait été réservé au domaine de la patristique et de l'histoire des concepts. C'est ce volume que nous présentons aujourd'hui, hélas après la disparition de l'auteur. On trouvera donc seize articles ou contributions qui relèvent presque tous des débuts de la carrière de l'auteur, au temps où il étudiait Marius Victorinus et se préparait à donner son grand livre sur Porphyre ; plusieurs articles concernent également les rapports entre les deux moitiés du monde antique, le monde grec et le monde latin, particulièrement l'influence d'Origène sur les Pères latins (Ambroise et Augustin). Dans tous ces travaux, qu'ils soient brefs ou étendus, l'on reconnaîtra sans peine les qualités qui ont fait de Pierre Hadot l'un des plus grands savants contemporains dans nos disciplines.
On a également joint tous les comptes-rendus de ses cours à l'École pratique des Hautes Études, qui permettront de suivre l'évolution de ses intérêts et comment il s'est porté graduellement vers la philosophie hellénistique.
Dans cet essai philosophique de Christian Thys, où il est question des rapports entre la philosophie et le nazisme, l'auteur cherche à répondre à deux questions fondamentales : tout d'abord dans quelle mesure la philosophie du nazisme, et la philosophie en général ont-elles été amenées à s'influencer mutuellement ? Ensuite, quel substrat a été nécessaire afin que la philosophie du nazisme ait pu émerger au sein d'un pays « civilisé » ? C'est à partir de cette problématique que l'auteur traite la question de l'Allemagne d'un point de vue à la fois historique et philosophique.
Cinq questions pour comprendre les liens entre philosophie et nazisme : Christian Thys réussit au cours de cet essai philosophique à définir clairement la problématique, et les enjeux du rapport entre deux concepts que l'on voudrait inconciliables. Parfaitement maîtrisé, l'essai met en valeur le travail de l'école de Francfort, exprime le clivage gauche-droite au sujet du nazisme, recense et synthétise les pensées des différents protagonistes, et pose la querelle des historiens et des philosophes qui en découle.
«Durant les vingt premières années de ma vie, j'ai grandi dans un monde où le destin des enfants semblait naturellement devoir être plus heureux que celui de leurs parents ; au cours des trente suivantes, j'ai vu mourir la promesse d'un monde meilleur. En une génération, la quasi-certitude d'un progrès s'est peu à peu effacée devant l'évidence d'une régression sociale, écologique, morale et politique, la 'Grande Régression' qu'il est temps de nommer et de se représenter pour pouvoir la combattre.
Car la première force des malades et des prédateurs qui orchestrent cette tragédie est leur capacité à présenter celle-ci comme le nouveau visage du progrès. Et leur première alliée, c'est la perméabilité des esprits stressés. À l'âge de la démocratie d'opinion, les réactionnaires ne peuvent se contenter de démolir l'acquis des luttes passées en faveur d'une vie meilleure pour tous ; il leur faut aussi anesthésier les résistances, susciter l'adhésion ou la résignation de leurs victimes ; ils doivent remporter une bataille culturelle dont l'enjeu est de nous faire aimer la décadence. [...]
En dépit des apparences et de son titre, ce livre n'est pas pessimiste ! Il dit au fond que la voie du progrès humain est connue et possible. Il annonce que nous sommes allés à peu près au bout de toutes les impasses des temps modernes. Tant et si bien qu'au bout de la Grande Régression où nous voilà bientôt rendus, l'humanité devra bien, d'une manière ou d'une autre, prendre un autre chemin. La seule question est de savoir s'il nous faudra pour cela endurer la régression jusqu'à l'effondrement, ou si une nouvelle majorité authentiquement progressiste pourra engager une Grande Transformation démocratique : celle qui nous sortira de la dissociété de marché pour nous emmener vers la société du progrès humain.»