D'ouvrages en recherches, patiemment, Thomas Laqueur élabore une histoire culturelle de la sexualité, marquée par la disjonction des représentations sociales et morales d'avec les éventuelles découvertes médicales : le discours sur la sexualité, aussi libre qu'un jeu de l'esprit, ignore l'entrave des faits. Le cas de la masturbation vient à nouveau l'illustrer.
1712 : dans les bas-fonds littéraires de Londres, paraît une brochure anonyme. De l'habituel flot d'écrits pornographiques, rien ne la distingue. Sinon son titre, étrange, interminable, dérivé d'un épisode, mineur et interprété à contre-sens, de la Bible : Onanie ou L'odieux péché de pollution de soi-même, et toutes ses effroyables conséquences, considéré chez les deux sexes, accompagné de conseils spirituels et physiques à tous ceux qui se sont déjà blessés par cette abominable pratique.
Comment expliquer que ses thèses connaîtront, en moins d'un siècle, un succès mondial, traduites et relayées dans les principales langues, appuyées par les autorités théologiques de toute confession, promues au rang du mal social extrême sous la plume des plus grandes autorités pédagogiques, médicales, puis psychanalytiques ?
Il faut suivre Thomas Laqueur dans sa vaste enquête. Il perce d'abord l'identité de l'auteur, John Marten, chirurgien et charlatan. Il montre ensuite que, des Anciens aux Pères de l'Église, le plaisir en solitaire était condamné uniquement parce qu'il ne donne pas lieu à enfantement. Ce sont les Lumières qui font de l'onanisme un problème majeur. C'est l'époque où naît l'économie politique, qui pose que la satisfaction des plaisirs individuels, par le jeu du marché, permet à l'égoïsme forcené de chacun de contribuer au bien-être de tous et d'oeuvrer, par sa limitation, à l'émergence de la société. Or, de tous les plaisirs, le solitaire est le seul à ne connaître ni limite ni satisfaction sociale contribuant à l'enrichissement de tous. C'est aussi le temps du Contrat social, de la citoyenneté naissante, du rapport de l'individu à la société par les droits et les devoirs. Or la masturbation isole l'individu de toute socialisation, dans les fantaisies galopantes d'une imagination qui échappe à la logique politique. L'Occident va donc faire de cette pratique une menace majeure pour l'ère de l'individu.
Quitte à ce que, lorsque reflue la terreur de l'onanisme, celui-ci devienne chez certains contemporains la forme suprême et revendiquée du plaisir.
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De la solitude des origines humaines à la solitude autobiographique
Une bonne partie de l'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau est consacrée à une tentatice de construction théorique d'une société regénérée par un politique nouveau. La constatation faite par le Genevoix de la corruption de ses contemporains, dûe à un mauvais usage du savoir et à l'inégalité criante des conditions, fruit de l'histoire malheureuse de l'humanité, va le pousser à repenser le politique. A partir d'une anthropologie philosophique radicalement anhistorique, il va développer les notions d'ordre et d'harmonie, qu'il trouve chez Leibniz et qu'il va adapter à son propos. Sa philosophie politique repose sur quelques principes apparemment simples : le contrat social, la volonté générale et l'unanimisme qui est son idéal, la figure du législateur, véritable organisateur de la cité et la religion civile tournée vers la réalisation des devoirs du citoyen. Cette religion civile trouve ses fondements théologiques dans la religion naturelle dont Rousseau établit la légitimité dans la Profession de foi du vicaire savoyard. Ces principes, par leurs côtés révolutionnaires, sont peu faits pour rassurer les monarchies, les pouvoirs en place et les Eglises. Rousseau s'attire les foudres des politiques et des différents clergés, qui ont compris le danger des théories de l'auteur de l'Emile. S'ensuit une série impressionnante de condamnations, d'objections et de mises au point. Les deux plus importantes attaques contre Rousseau seront celles de l'archevêque de Paris, Christophe de Beaumont et celle du procureur général de Genève, Jean-Robert Tronchin. A Christophe de Beaumont, il répondra en mettant à mal tant la théorie de la monarchie absolue de droit divin que le coeur même du christianisme : la notion de péché originel. Face à Jean-Robert Tronchin, dans les Lettres écrites de la Montagne, il montre que tout projet politique, aussi généreux soiil, finit toujours par sombrr dans le despotisme. Commence alors pour Rousseau la dernière période de sa vie, période de fuite et d'exil. Son projet politique, il s'en rend compte, est irréalisable. Cette idée, dans laquelle il avait mis tous ses espoirs, celle de la reprise de la notion d'harmonie et son passage de la sphère théologique à la sphère politique, est impossible à réaliser. Il restera désormais à Rousseau à trouver un bonheur paradoxal dans la solitude, une solitude dans laquelle il redécouvre la nature et Dieux, une solitude qui lui permet enfin, sur le plan individuel, de vivre en harmonie avec lui-même et la nature dans laquelle se montre la beauté du Créateur. C'est le but des écrits autobiographiques d'exposer cette unique possibilité du bonheur et de présenter au monde la figure du juste pourchassé, solitaire, mais heureux et la conscience en paix. Le trajet de Rousseau est donc celui d'un espoir politique qui s'abîme dans la désillusion mais aussi le trajet d'un homme qui, pour finir, trouvera une paix assumée dans la solitude et la certitude d'une harmonie basée sur la bonté de Dieu.
Présentation de l'éditeur
L'artiste est une figure exemplaire de l'individuation psychique et collective, telle qu'un je n'est qu'au sein d'un nous, et telle qu'un nous est constitué à la fois par le potentiel sursaturé et tendu du fonds pré-individuel que suppose ce processus, et par des dia-chronies en quoi consistent les je à travers lesquels il se forme.
Ce processus est un flux lui-même constitué de tourbillons : les tourbillons sont des flux en spirales formant au sein du flux des contre-courants sans fin. Ces contre-courants reconduisent cependant au courant par leurs courbures singulières, et sont ainsi - à contre-courant - la réalité du courant dominant. Un artiste est un tourbillon d'un type particulier dans ce flux : il est investi d'une tâche dans la préparation du fonds pré-individuel des je et des nous à venir. Et, en même temps, il est un opérateur de trans-individuation du pré-individuel disponible : il crée des oeuvres, c'est-à-dire des artefacts, qui ont pour caractéristique d'ouvrir l'à-venir comme singularité de l'indéterminé par un accès au refoulé qui trame la puissance de ce qu'Aristote nommait l'âme noétique, et comme sa possibilité - qui n'est que par intermittences - de passer à l'acte. C'est un accès au sauvage.
Le sauvage, comme double tendance d'un fonds pulsionnel liable, est ce que le désir sublimé apprivoise mais ne domestique pas. Et le sauvage, non sublimé, retourne à sa pure sauvagerie. L'art, et l'esprit où il advient, sont les noms de cette sublimation, et ils sont aujourd'hui gravement menacés. Ce qui signifie que le sauvage brut est partout menaçant.
Ce livre présente le projet d'une organologie générale et d'une généalogie du sensible - en vue de penser ultimement la sauvagerie de notre temps. Il poursuit l'analyse qui a été avancée dans des ouvrages antérieurs de l'économie libidinale propre au capitalisme hyperindustriel, principalement à travers la question de l'art, comme liquidation de l'économie de la sublimation sous toutes ses formes.
Il s'agit de fourbir des armes : de faire d'un réseau de questions un arsenal de concepts, en vue de mener une lutte. Le combat à mener contre ce qui, dans le capitalisme, conduit à sa propre destruction, et à la nôtre avec lui, constitue une guerre esthétique. Elle-même s'inscrit dans une lutte contre un processus qui n'est rien de moins que la tentative de liquider la «valeur esprit», comme disait Valéry.
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Edition trilingue français-anglais-japonais
Tout au long de son grand traité d'athéologie, le Shôbôgenzô, Dôgen (1200-1253) enseigne la vision juste. Voir juste c'est voir en cessant de voir ce qui n'est pas, c'est s'éveiller à la vraie nature des choses. La vraie nature des choses, le coeur, est sans qui, ni quoi, sans quand, ni où, calme et apaisée, vide.
Mais l'éveil à est une manière de dire. L'éveil ne s'obtient pas. L'éveil et l'homme et le mouvement de l'un vers l'autre sont des hypostases; aucun n'existe en soi, indépendamment de l'autre. Dôgen met en exergue le syllogisme du maître chan Yunju Daoying (?-902): l'homme, tout homme sans exception, est déjà l'éveil; l'éveil est déjà l'homme; donc il n'y a pas à se soucier d'obtenir l'éveil. Cette voie sans trajet, de plain-pied avec l'éveil, s'appelle tout simplement ça.
Si c'est la pensée sans compromission de Nâgârjuna, le fondateur de la tradition du bouddhisme Mâdhyamaka, qui constitue l'ossature du Shôbôgenzô, c'est la patrologie chan de l'époque Tang qui fait office de matériau, un matériau souple et malléable, indispensable à l'expression de l'audacieuse méthode exégétique de son auteur. Les mots y sont considérés non pas comme sacrés, mais comme le filet qu'on jette après avoir attrapé sa proie.
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Nouvelle édition augmentée
S'il valait, je crois, la peine de rééditer le présent livre, épuisé depuis plusieurs années, c'est parce que les articles qu'il rassemble et notamment les trois textes principaux - la critique de Pierre Bourdieu, la relecture de La République de Platon et la réflexion sur le don, l'intérêt et le désintéressement (et sur Derrida...) - correspondent à des moments charnières dans la réflexion du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales). Avant l'explicitation d'un 'paradigme du don' (ici esquissé), qui aura été le travail principal des dix dernières années de La Revue du MAUSS, il fallait s'expliquer en profondeur sur ce qui fait problème dans l''axiomatique de l'intérêt' et dans l'utilitarisme ou, à l'inverse, dans l'an-utilitarisme d'un Jacques Derrida. C'est que la recherche d'un don absolument pur et désintéressé est aussi illusoire et démobilisatrice, pour la pensée comme pour l'action, que la réduction de toute action aux calculs intéressés qui sont censés l'inspirer. Ce n'est qu'une fois clairement prémuni des séductions de ces deux frères ennemis qu'il est possible de commencer à avancer pour de bon. A.C.
Après la pilule contraceptive, l'insémination artificielle, la fécondation in vitro, une prochaine étape sera l'utérus artificiel. Sans doute cette technique aura-t-elle d'abord des fonctions thérapeutiques, remplaçant les incubateurs actuels pour maintenir en vie les grands prématurés. Mais personne n'est dupe. Les techniques de procréation, initialement développées avec des finalités médicales de traitement de la stérilité ou d'avortements à répétition, débordent inévitablement ces indications strictement thérapeutiques. Comme les inséminations artificielles et les fécondations in vitro, les utérus artificiels seront utilisés pour des « désirs d'enfant » que la procréation naturelle, non médicalisée, ne permet pas de satisfaire
Tout en exposant les conditions de réalisation de l'utérus artificiel, Henri Atlan prend la mesure des retombées sociales et culturelles, économiques, politiques, religieuses, voire métaphysiques, de cette nouvelle technique.
Outre la dissociation entre sexualité et procréation,
c'est une asymétrie immémoriale qui disparaîtra dès lors que les hommes et les femmes seront égaux devant les contraintes qu'impose la reproduction de l'espèce.
De quoi seront faits demain les genres masculin et féminin ? Continuant et achevant peut-être une évolution déjà commencée, la procréation sera de plus en plus médicalisée tandis que, paradoxalement, la parenté sera de plus en plus sociale, de moins en moins biologique.
Mais rien n'est définitivement joué. Impossible de prédire comment l'UA façonnera l'avenir des sociétés humaines. Et si les mythes et la fiction peuvent ici éclairer la technique, le « meilleur des mondes » n'est pas assuré.
Présentation de l'éditeur
Hermann Broch (1886-1951) figure certainement, avec Proust, Musil et Joyce, au panthéon des grands 'inventeurs de roman' du vingtième siècle. Mais le public francophone sait peu qu'il se consacra également à l'écriture d'une importante oeuvre philosophique, sans jamais vouloir parvenir à lui donner une forme définitive.
Les six essais, publiés ici pour la première fois en français, ont été écrits enter 1931 et 1946 et rendent compte de sa 'théorie de la connaissance', fondée sur une conception très personnelle du concept de valeur.
Portant sur des sujets apparemment divers, comme la musique, la poésie ou la psychanalyse, ces essais concernent une seule et même question : comment la raison peut-elle permettre de saisir ce qui, dans toute activité humaine, dépasse le champ de la raison ? Ainsi l'oeuvre de Broch, centrée sur ce 'paradoxe de l'irrationnalité', constitue, à sa manière, et tout aussi singulièrement que celle de Musil, un versant non négligeable de ce qui deviendra un courant important de la philosophie contemporaine.
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Trente-cinq ans après le numéro d'hommage que lui consacrait à sa mort La Nouvelle Revue française, cet ouvrage rassemble une matière inédite sur le philosophe, écrivain et éditeur Brice Parain (1897-1971). Il s'agit, d'une part, de textes et témoignages prononcés lors d'une Journée d'études en juin 2002 organisée par la Bibliothèque nationale de France, détentrice de ses archives personnelles. On y a joint, d'autre part, un ensemble de documents (correspondance, articles de presse, textes de l'auteur) éclairant d'un nouveau jour le parcours singulier d'une des grandes figures intellectuelles françaises du siècle dernier. Les analyses des historiens se mêlent ici, documents et archives à l'appui, aux travaux des philosophes et des critiques pour porter un regard plus renseigné sur ses multiples interventions dans la vie intellectuelle, littéraire et politique du pays : son rapport au communisme et aux communistes français, son rôle exact dans l'histoire éditoriale de la NRF, son dialogue avec les nouvelles figures dominantes de la vie intellectuelle de l'après-guerre (son célèbre affrontement avec Jean-Paul Sartre est l'épisode le plus souvent cité ; mais il y en aura d'autres)... Et voilà bien sûr que, par d'autres voies, on interroge à nouveau, en s'efforçant de la saisir sous tous ses aspects et variations et dans sa grande profondeur, ce qui demeure la grande question de sa vie : qu'est-ce qu'un langage à la mesure et au service de l'homme ?
Homme de courage et de coeur autant qu'homme de lettres, Parain tire sans doute son opiniâtreté d'une enfance paysanne où l'on ne se payait pas de mots. Les témoignages abondent pour dépeindre la gentillesse, l'ouverture d'esprit, l'obstination aussi du «philosophe-paysan» qui n'a jamais rien oublié de la campagne de son enfance. Ni de la Russie, d'ailleurs, qu'il connaissait intimement et dont il contribua à faire connaître les grands auteurs passés et contemporains en menant une politique active de publications et de traductions - des grandes traductions données par la «Pléiade» au Docteur Jivago de Boris Pasternak. Un Français à l'âme slave, donc. Et une personnalité très attachante.
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Sur l'incarnation de la liberté dans l'idéalisme transcendantal
La pensée contemporaine revendique l'héritage théorique de la philosophie transcendantale, c'est-à-dire, pour l'essentiel, la théorie de la connaissance et la théorie du jugement. En revanche, nul ne reprend sans précaution la philosophie transcendantale pratique, suspectée selon les uns de s'être fourvoyée dans un formalisme sans âme et, selon les autres, de s'être égarée dans d'obscures spéculations. Curieux destin de l'idéalisme transcendantal que celui révélé par l'hiatus entre sa réussite théorique et sa défaite pratique. Car enfin, la philosophie transcendantale voue à la liberté une passion véritable, qui explique notamment la place centrale du concept dans tous les systèmes idéalistes, et l'affirmation sans cesse répétée de la primauté de la raison pratique sur la raison théorique. C'est ce pourquoi le projet de la philosophie transcendantale ne consiste pas à conquérir une nouvelle idée de la liberté, âprement gagnée contre le dogmatisme, mais à réfléchir sur les conditions de la réalisation concrète de la liberté dans le monde.
L'étude présentée ici a une double visée historique et systématique. Sur le plan historique, il s'agit de retracer les aventures de la liberté dans le champ, toujours ouvert, de la philosophie transcendantale, en examinant comme autant de sommets de la pensée pratique ces auteurs de génie que sont Kant, Fichte, Schelling et Husserl. Parallèlement à l'examen chronologique, dont la vertu immédiate est d'offrir une vision vivante des thèses qui s'affrontent, se repoussent ou se synthétisent, l'ouvrage propose également une lecture originale du débat idéaliste sur la liberté. C'est que la pensée transcendantale se divise entre deux conceptions singulièrement différentes de la liberté. La première, promue par Kant et, dans une certaine mesure, par le jeune Schelling, s'appuie méthodiquement sur le jugement réfléchissant et fait de la réalisation de la liberté une espérance dans un règne des fins. La seconde, soutenue par Fichte et, en un sens, par le dernier Husserl, se fonde méthodiquement sur une rationalité immanente de l'agir et voit, dans l'incarnation concrète de la liberté dans le monde historique, la manifestation de la créativité de la vie. Mais cette fracture n'est-elle pas ce dont hérite finalement la pensée contemporaine, tiraillée entre l'espérance d'une communication sans contrainte et l'éthique des formes de vie?
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SOMMAIRE
HORIZONS Jérôme Maucourant & Frédéric Neyrat
CORPUS Frédéric Neyrat : Heidegger et l'ontologie de la consommation Jérôme Marcourant Le capital comme volonté et comme représentation Alain Guéry L'empire du Capital François Roussel 'La vie n'est pas une marchandise' Yann Moulier-Boutang Economie politique des multitudes
PAROLE Jean Baudrillard Entretien sur la dualité des mondes
PERIPHERIES Emmanuel Renault L'idéologie comme description Jon Solomon Traduction métaphysicoloniale et sciences humaines Michel Henochsberg Oublier le capital Brian Holmes L'utopie codée du Makrolab Thierry Marin Capristal et capvital Fikret Adaman La planification participative contre leGrand Marché
REPLIQUES François Noudelmann Dernières nouvelles du communisme
Nouveaux Correspondants du Collège