Nous sommes séparés et opposés. Nos luttes aboutissent à des conceptions irréconciliables quant à l'être même des choses. Dans cet ouvrage, Tristan Garcia refuse de se résoudre à l'affrontement et propose d'accorder une existence commune, minimale et égale à toutes les entités possibles, afin de mieux reconstituer leurs différences et leurs puissances. Il répond à la destitution de l'universel, critiqué de toutes parts, par la recherche d'un « commun distinct », un être commun à toutes choses, un minimum de détermination qui ne serait pas l'expression d'un pouvoir, sans sombrer pour autant dans l'inconsistance.
Nos expériences ordinaires suffisent-elles à donner un sens à nos vies ? N'y a-t-il pas au contraire des expériences exceptionnelles, rares, supérieures, qui rompent avec l'ordinaire et nous font toucher quelque chose de plus profond, de plus réel, d'absolu ? Les philosophes de l'expérience radicale soutiennent en effet qu'il existe une différence de nature entre deux grands types d'expériences : d'un côté, les expériences pratiques, habituelles, empiriques, qui nous maintiennent dans un régime d'apparences ; de l'autre, des expériences privilégiées, telles que l'extase mystique, l'effusion érotique ou l'exaltation de la fête, transformant l'individu qui les traverse, le transportant dans un espace et un temps propres, imposant de nouvelles valeurs et dévoilant le fond des choses par- delà les apparences.
« Il n'y a pas de faits, seulement des interprétations », tel est le cri de ralliement des postmodernes. Or Maurizio Ferrons y voit un « sophisme transcendantal » potentiellement ruineux pour notre sens des réalités.
Connu en France pour ses travaux sur des objets sociaux tels que le web ou le smartphone, le philosophe italien semble avoir pressenti, bien avant que nous n'entrions dans notre époque de faits alternatifs et de fake news, l'urgence morale qu'il y a, pour la pensée, à redécouvrir le monde qui se tient farouchement au-dehors : un monde, une réalité que la pensée n'a pas construits mais dont elle doit tenir compte dans ses raisonnements et ses analyses.
Identités contre universalisme, genre contre sexe, république contre communautarisme, racisme, féminisme, immigration... Le point commun de ces débats, qui polarisent la vie intellectuelle avec de fortes implications politiques, est de mettre en jeu la culture, dans tous les sens du terme. Mais Olivier Roy récuse ici la thèse de la « guerre culturelle » ou du conflit de valeurs. Ce qui est en crise, selon lui, c'est la notion même de culture, désormais réduite à un système de codes explicites, décontextualisés et souvent mondialisés, qui envahissent les universités comme nos cuisines, les combats identitaires et les religions comme nos pratiques sexuelles, et jusqu'à nos émotions dûment répertoriées en émojis.
Qui n'a jamais eu de prémonitions ? À l'occasion d'un rêve, lors de pratiques divinatoires ou par de simples frissons, toutes les cultures humaines ont connu ces moments troublants où le futur se réfracte dans le présent. Qu'il s'agisse du pressentiment d'un accident sur le point d'arriver ou d'un oracle annonçant un événement plus lointain, l'insistance avec laquelle se manifestent encore ces intuitions, présages ou synchronicités indique que nous n'en avons pas fini avec cette expérience de la coprésence des temps.
L'auteur de ce livre, psychomotricien, raconte avec passion son travail auprès de personnes à l'élan vital fragilisé pour des raisons très variées, et relate la façon dont l'institution psychiatrique paralyse, défait, aspire la vitalité des liens précaires qui ont pu se tisser dans le soin. Alternant récit d'expériences et tentatives de penser autrement le soin psychique ou l'autisme - sans mauvais jargon mais sans céder à l'anti-intellectualisme ou au rejet a priori des approches psychanalytiques -, Olivier Brisson défend une pratique indisciplinée qui résiste aux « protocoles » déshumanisants.
Si nombre d'interventions sur le sujet laissent un sentiment amer sur l'avenir de la psychiatrie, ce livre parvient à transmettre l'énergie et l'enthousiasme de son auteur pour une éthique du lien et du partage créatif. (présentation de l'éditeur)
Le chamane est un individu capable, d'une façon mystérieuse pour nous, de voyager en esprit, de se percevoir simultanément dans deux espaces, l'un visible, l'autre virtuel, et de les mettre en connexion. Ce type de voyage mental joue un rôle clé pour établir des liens avec les êtres non humains qui peuplent l'environnement,
Les chamanes ne gardent pas pour eux seuls l'expérience du voyage en esprit : ils la partagent avec un malade, une famille, parfois une vaste communauté de parents et de voisins. Les participants au rituel vivent tous ensemble cette odyssée à travers un espace virtuel. De génération en génération, les sociétés à chamanes se sont transmis comme un précieux patrimoine des trésors d'images hautes en couleur, mais en grande partie invisibles.
Même si la plupart des humains disposent de la conscience d'avoir un moi unique et stable, ce dernier est plus fragmenté et plastique qu'on ne tend à le penser. Des sosies de Napoléon à Gary inventeur d'Ajar, de la cosplayeuse fan de Wonder Woman à l'amateur de devenir animal, du rôle d'acteur au jeu grandeur nature, en passant par l'anthropologue qui s'indigénise, David Berliner étudie un répertoire étonnant d'expériences identificatoires. En électrisant nos capacités de prise de perspective, d'empathie et d'imitation, ces formes spectaculaires du devenir autre sont autant de laboratoires de l'exploration du soi qui rendent possible l'émergence de la multiplicité et de la versatilité identitaires. On y est, notamment, amené à se découvrir soi-même comme un autre.
« À 7 ans, j'ai été condamné à mort pour un crime que j'ignorais. Ce n'était pas une fantaisie d'enfant qui joue à imaginer le monde, c'était une bien réelle condamnation. » B. C.
Boris Cyrulnik a échappé à la mort que lui promettait une idéologie meurtrière. Un enfant qu'on a voulu tuer et qui toute sa vie a cherché à comprendre pourquoi, pourquoi une telle idéologie a pu prospérer.
Pourquoi les sciences modernes n'avancent-elles que sur un mode guerrier : guerre du scientifique contre ses concurrents, du savant contre le « charlatan », du « nouveau » contre l'« ancien » ? Pourquoi les sciences s'affirment-elles sous le jour le plus faux : triomphe d'un savoir enfin objectif, neutre et désintéressé, produit par une démarche méthodique, humble et sereine ? Et pourquoi quand les scientifiques disent leurs rêves et leurs ambitions, est-ce si souvent la spéculation arrogante et la polémique qui s'expriment ? Pourquoi, par exemple, la physique moderne est-elle habitée par la conviction qu'elle seule peut percer l'énigme de ce monde, énigmatiquement intelligible comme l'a dit Einstein ? Peut-on répondre à ces questions sans insulter les passions des scientifiques mais d'une manière qui leur permette d'échapper à « la passion moderne de disqualifier toute pratique qui ne souscrit pas à l'affirmation d'un monde unique » ?