La plaine

La plaine
Bi Feiyu
Ed. Philippe Picquier

Après deux ans d'absence, le jeune Duan Fang rentre au Village des Wang. Au fil des saisons, nous allons le suivre dans sa redécouverte de la vie aux champs, l'ardent amour qu'il porte à une jeune fille qui ne lui est pas destinée, sa lutte pour échapper à un destin tout tracé.

Dans le Village des Wang, toutes les hiérarchies ont été bouleversées par le passage de la Révolution culturelle, et le notable d'avant est le proscrit d'aujourd'hui. Bi Feiyu s'attache à une multitude de personnages hauts en couleur, comme ce «médecin aux pieds nus» qui fabrique en secret du soda dans ses flacons de sérum physiologique ; Vieux Harpon, poursuivi par le fantôme du riche propriétaire terrien dont il a récupéré la maison ; Monsieur Gu, un «droitiste» converti qui déchiffre le monde à l'aune de l'oeuvre de Karl Marx ; ou la belle Manling, une «jeune instruite» envoyée se former chez les paysans et devenue la très zélée secrétaire du Parti, éperdument amoureuse de Duan Fang.

En ces temps où règne un bouleversement carnavalesque des valeurs, les mêmes moteurs guident toujours les actions humaines, désir de pouvoir, de possession, d'amour, de vivre ses rêves les plus secrets, tandis que, immuable, se déroule le cycle des saisons, le passage de l'orge mûre à couper au vent du nord-est qui apporte la neige, jusqu'au renouveau du printemps suivant.

Là-haut, tout est calme

Là-haut, tout est calme
Bakker Gerbrand
Ed. Gallimard/Du monde entier

Helmer van Wonderen vit depuis trente-cinq ans dans la ferme familiale, malgré lui. C'est Henk, son frère jumeau, qui aurait dû reprendre l'affaire. Mais il a disparu dans un tragique accident, à l'âge de vingt ans. Alors Helmer travaille, accomplissant les mêmes gestes, invariablement, machinalement. Un jour, sans raison apparente, il décide d'installer son vieux père au premier étage, de changer de meubles, de refaire la décoration de la maison. Le besoin de rompre la monotonie de sa vie et l'envie de mettre fin à ce face-à-face presque silencieux avec un homme devenu grabataire le font agir, plein de colère retenue. Les choses s'accélèrent le jour où il reçoit une lettre de Riet lui demandant de l'aide : Riet était la fiancée de son frère. Elle fut aussi à l'origine de son accident mortel...
En se mettant dans les pas d'un paysan du nord de la Hollande qui, à cinquante-cinq ans, comprend qu'il n'est pas trop tard pour combler ce manque qui le ronge, l'écrivain néerlandais évoque avec une grande force le désir humain de maîtriser sa vie et d'accéder à une forme de vérité intérieure. A la fois précise et poétique, l'écriture de Là-haut, tout est calme entraîne le lecteur dans une inoubliable quête de bonheur.

Leçons particulières

Leçons particulières
Sulzer Alain Claude
Ed. Jacqueline Chambon

Avant la chute du communisme, Leo, un étudiant qui a fui un pays de l'Est, est accueilli en Suisse par un couple et s'installe dans leur maison de banlieue. Martha, une mère de famille de trente-quatre ans, accepte de lui donner gracieusement des cours d'allemand. Dans cette langue qu'il maîtrise à peine, il s'entend avouer pour la première fois qu'il a abandonné sa fiancée au pays. Mais cette trahison n'est qu'un début. Alors qu'il est devenu l'amant de son professeur, il prend en secret des cours d'anglais pour pouvoir rejoindre son frère au Canada. Cet amour qui est pour Martha une révélation et qui va bouleverser sa vie n'est pour lui qu'un bonheur fugitif, qui n'a pas de place dans ses rêves d'avenir.

Pour Alain Claude Sulzer, l'amour est inséparable de la trahison, car il y en a toujours un qui aime plus que l'autre. Mais le roman dénonce aussi l'égoïsme inséparable de celui qui émigre. Obnubilé par le but qu'il s'est fixé, il utilise froidement tous ceux qui l'aident sans se préoccuper de leurs sentiments.

Contes du chemin de fer

Contes du chemin de fer
Ismaïlov Hamid
Ed. Sabine Wespieser

La vie a bien changé à Guilas, paisible bourgade d'Ouzbékistan, depuis que le train s'y arrête : les tribus d'Asie centrale, les voyageurs de toutes origines, et bientôt les populations déportées par le régime communiste y côtoient les autochtones, forcés de s'habituer à leurs nouvelles conditions de vie.
Pendant la seconde guerre mondiale, période sur laquelle s'ouvre cette étonnante polyphonie, le cœur de la petite ville bat à l'auberge de la gare : les bras cassés qui sont restés à l'arrière - Oumareli l'Usurier, réformé pour avoir pris seize kilos pendant son séjour en prison, Tolib le Boucher, si maigre qu'on lui confie le ravitaillement du village, et Koutchar la Tchéka, le représentant de la police politique qui n'a qu'une bonne oreille pour faire son travail de mouchard - y égrènent ragots et anecdotes.
Exilés, adultères, orphelins, profiteurs, aventuriers et mendiants de tous poils défilent en une chronique débridée, véritable plongée ethnographique dans un microcosme où l'arrivée du train n'a pas été le seul traumatisme. Le matérialisme historique a en effet pulvérisé la vieille tradition soufie et les habitudes culturelles profondément ancrées d'un islam traditionnel : désormais, il faut choisir entre bigamie et déportation, transformer les postes de fonctionnaires en charges héréditaires, bref, les petits arrangements avec le communisme sont la matrice de multiples histoires, tragiques ou grotesques, qui s'enchaînent comme autant de motifs dans le tapis. Car ce sont bien le charme et la singularité de ce livre exubérant, construit à la manière des contes des Mille et une Nuits, que de faire émerger de la juxtaposition des histoires un univers singulier, et d'inviter son lecteur à un éblouissant voyage au pays des contes et légendes d'une Asie centrale méconnue.

Hamid Ismaïlov est né en Asie centrale en 1954. Il a quitté l'Ouzbékistan en 1994 pour s'installer finalement à Londres, où il dirige à la BBC le service Asie centrale et Caucase, après avoir vécu en Russie, en France et en Allemagne. Il écrit à la fois dans sa langue natale, l'ouzbek, et en russe. Contes du chemin de fer est son premier livre traduit en français.

Cabinet des figures de cire précédé d'Images viennoises

Cabinet des figures de cire précédé d'Images viennoises
Roth Joseph
Ed. Seuil

«Je n'écris pas de 'commentaires divertissants'. Je dessine le visage de notre époque.» Telle est l'ambition maintes fois proclamée par Joseph Roth, qui refusait que l'on considérât son activité de journaliste et de chroniqueur comme celle d'un aimable causeur et ne l'estimait pas inférieure à sa prose romanesque. Les esquisses et portraits ici réunis confirment la validité de cette exigence. Observateur minutieux de la surface chatoyante du monde, qu'il sait rendre en quelques traits de plume suggestifs, l'écrivain brosse un panorama subjectif de la modernité qui est en même temps une quête de sens. Des Images viennoises, écrites dans les tout premiers temps de sa carrière de journaliste, jusqu'aux pages ciselées de Cabinet des figures de cire, où il a rassemblé de son vivant les plus beaux textes rédigés pour le compte de la Frankfurter Zeitung quelques années avant la période de l'exil français, Joseph Roth s'affirme au travers de sa prose toujours lumineuse et alerte comme un maître incontesté de la forme brève.

La vallée de la mort

La vallée de la mort
Oates Joyce Carol
Ed. Philippe Rey

Souvent les femmes se croient indépendantes, autonomes... jusqu'à ce que frappe la violence masculine. Alors elles vacillent et, incapables de faire plus que rêver à leur évasion, acceptent leur statut de victimes. Ce sentiment d'impuissance face à la brutalité mâle imprègne ces nouvelles finement ciselées, dont les héroïnes reçoivent cette cruauté chacune à leur manière : l'une raconte à son ex-mari son étrange aventure avec un joueur de dés qui la traitait avec sadisme ou tendresse selon les fluctuations de ses gains aux tables de jeu ; une autre, prostituée, rêve de trancher la gorge de son compagnon avec la lame de rasoir cachée dans son sac, mais se contente de le quitter en l'insultant faiblement...

Ces vingt-cinq mini-romans, malgré leur noirceur sous-jacente, ne cessent de fasciner et - on ose à peine l'avouer - de séduire.

Fille noire, fille blanche

Fille noire, fille blanche
Oates Joyce Carol
Ed. Philippe Rey

Elles se rencontrent au coeur des années soixante-dix, camarades de chambre dans un collège prestigieux où elles entament leur cursus universitaire. Genna Meade, descendante du fondateur du collège, est la fille d'un couple très «radical chic», riche, vaguement hippie, opposant à la guerre du Vietnam et résolument à la marge. Minette Swift, fille de pasteur, est une boursière afro-américaine venue d'une école communale de Washington.

Nourrie de platitudes libérales, refusant l'idée même du privilège et rongée de culpabilité, Genna essaye sans relâche de se faire pardonner son éducation élitiste et se donne pour devoir de protéger Minette du harassement sournois des autres étudiantes. En sa compagne elle voit moins la personne que la figure symbolique d'une fille noire issue d'un milieu modeste et affrontant l'oppression. Et ce, malgré l'attitude singulièrement déplaisante d'une Minette impérieuse, sarcastique et animée d'un certain fanatisme religieux. La seule religion de Genna, c'est la piété bien intentionnée et, au bout du compte inefficace, des radicaux de l'époque. Ce qui la rend aveugle à la réalité jusqu'à la tragédie finale. Une tragédie que quinze ans - et des vies détruites - plus tard, elle tente de s'expliquer, offrant ainsi une peinture intime et douloureuse des tensions raciales de l'Amérique.

Les vies privées de Pippa Lee

Les vies privées de Pippa Lee
Miller Rebecca
Ed. Seuil/Cadre vert

À cinquante ans, Pippa Lee apparaît à tous ceux qui la connaissent comme «une des dames les plus charmantes, les plus gentilles, les plus adorables, les plus simples et les plus rassurantes qu'ils aient jamais vues». Épouse parfaite, mère dévouée, hôtesse accomplie et sereine, elle semble avoir tout pour être heureuse. Mais lorsqu'elle et Herb, son mari octogénaire, quittent New York pour s'installer dans une luxueuse banlieue pour retraités, cette belle façade se fissure. Sa sensualité mise en sommeil se réveille et remonte à la surface un passé mystérieux et trouble, fait de rébellion, de passions et de déchirements - un passé dont elle a laissé loin derrière elle les excès et les dangers pour le confort du mariage mais qui la rattrape inexorablement... Les Vies privées de Pippa Lee, «roman à énigme psychologique», explore avec finesse le labyrinthe intime d'une femme en quête de sa véritable identité, écartelée entre son désir de sécurité affective et son aspiration à la liberté. Dans la veine des Corrections de Jonathan Franzen, ce roman dénonce avec drôlerie et lucidité les maladies de l'Amérique, son instrumentalisation de la femme, son culte du succès, du bonheur, et les hypocrisies que tout cela recouvre.

Voyageurs en souffrance

Voyageurs en souffrance
Gallant Mavis
Ed. Allusifs

Christine, une jeune Allemande fiancée à un étudiant en théologie, part en voyage avec Herbert, un divorcé, et son fils Berti. Leur bref séjour dans un Paris caniculaire se révèle aussi désastreux que le trajet du retour en train, parsemé de rencontres intrigantes et d’inquiétants contretemps. De détournement en changements de directions, le train finit toutefois par les mener à Pegnitz. Cette gare de jonction, lieu de passage et de transition, réveille un sentiment de perdition chez les passagers, Européens meurtris, Nord Américains exilés dans l’Europe d’après-guerre, tous « voyageurs en souffrance ». Dans une prose élégante, Mavis Gallant parvient à faire de ce récit l’expression complexe des bouleversements générés par la Seconde Guerre mondiale, la vanité, l’absurdité et les contradictions des personnages reflétant en dernier lieu celles de l’Histoire.

American falls

American falls
Gifford Barry
Ed. 13e note

« Tico Mariposa emmena Cookie Cruz dans sa chambre, au-dessus du bar Buena Suerte, au coin des avenues 16 de Septiembre et Pancho Villa. Fatiguée après sa journée de travail, Cookie n'était pas pressée d'aller préparer le dîner pour sa mère ; alors, elle accepta le shoot qu'il lui proposa. À un moment, elle tomba dans les pommes ; quand elle se réveilla, Tico était en train de la violer. Elle se mit à crier si fort qu'il lui flanqua son poing droit dans la mâchoire. Elle saignait et pleurait ; Tico la retourna pour essayer de la lui coller dans le cul. Cookie se traîna à quatre pattes, saisit une petite lampe sans abat-jour et la balança derrière elle, dans la figure de Tico ; l'ampoule vola en éclats. Tico lâcha Cookie ; elle se releva d'un bond mais, trop étourdie par la drogue pour tenir sur ses pieds, elle retomba et le regarda. [...] Tico se redressa sur les genoux, enleva lentement les morceaux de verre de sa figure. Puis il tendit le bras et saisit un pistolet qu'il pointa sur elle. » Extrait de « Deux récits de frontière »

 

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