Manuel de survie à l'usage des incapables

Manuel de survie à l'usage des incapables
Gunzig Thomas
Ed. Au diable Vauvert

Avec ce troisième roman, placé sous l'exergue d’une citation d’Arnold Schwarzenegger, c’est le supermarché, dernier temple du monde moderne, qui a inspiré à Thomas Gunzig son humour ravageur et son sens de l’aventure.

C’est en tout cas le lieu où convergent et se croisent les destins des héros involontaires. Un jeune employé, un assistant au rayon primeur, un baleinier compatissant et quatre frères, Blanc, Brun, Gris et Noir, jeunes loups aux dents longues surentraînés et prêts à tout, vont ainsi se retrouver liés par la conjonction fortuite d’un attentat frauduleux et du licenciement abusif d’une caissière.
Leurs aventures burlesques et noires nous emportent dans les sinusoïdes étranges du destin et les lois sévères du mercantilisme contemporain.

« La tristesse pouvait s’installer dans une vie et s’y planter durablement, comme une vis bien serrée avec une couche de rouille par-dessus »

« il sentait que la vie était une épreuve aussi désagréable qu’une longue angine. »

Des morceaux de bravoure inoubliables (tels la création du monde comme un supermarché), des références constantes aux contre-cultures cinématographiques, un art du rebondissement tiré des meilleurs feuilletons populaires, une précision jubilatoire, un sens de la narration et un style inoubliables font de ce roman une vraie réussite.

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La confrérie des chasseurs de livres

La confrérie des chasseurs de livres
Jerusalmy Raphaël
Ed. Actes Sud

Le roman de Raphaël Jerusalmy commence là où calent les livres d’histoire. François Villon, premier poète des temps modernes et brigand notoire, croupit dans les geôles de Louis XI en attendant son exécution. Quand il reçoit la visite d’un émissaire du roi, il est loin d’en espérer plus qu’un dernier repas. Rebelle, méfiant, il passe pourtant un marché avec l’évêque de Paris et accepte une mission secrète qui consiste d’abord à convaincre un libraire et imprimeur de Mayence de venir s’installer à Paris pour mieux combattre la censure et faciliter la circulation des idées progressistes réprouvées par Rome. Un premier pas sur un chemin escarpé qui mènera notre poète, flanqué de son fidèle acolyte coquillard maître Colin, jusqu’aux entrailles les plus fantasmatiques de la Jérusalem d’en bas, dans un vaste jeu d’alliances, de complots et de contre-complots qui met en marche les forces de l’esprit contre la toute-puissance des dogmes et des armes, pour faire triompher l’humanisme et la liberté.
Palpitant comme un roman d’aventures, vif et malicieux comme une farce faite à l’histoire des idées, regorgeant de trouvailles et de rebondissements, La Confrérie des chasseurs de livres cumule le charme et l’énergie de Fanfan la Tulipe, l’engagement et la dérision de Don Quichotte et le sens du suspense d’un Umberto Eco.

«Je tombe sur ceci, à propos du poète François Villon, condamné à être pendu :

Le 5 janvier 1463, le Parlement casse le jugement et bannit Villon de Paris. Nul ne sait ce qu’il advint de lui par la suite.

Comment résister à une telle invite !
D’autant plus que Villon est le héros romanesque par excellence. Téméraire, attachant, tragique, rebelle. Mais aussi farceur, gredin, mystérieux. Parfait pour un récit d’aventures. Et puis Villon, c’est surtout un combat. Des comptes à régler avec le pouvoir, l’injustice, la souffrance humaine. Une épopée de l’esprit et de la lutte pour la liberté. Impossible de cantonner un tel personnage dans un seul lieu, un seul niveau de lecture, une seule intrigue. Enfin, il y a les livres. Autres héros de cette histoire. Et la poésie.
L’invite se transforme vite en défi.
C’est alors que je fais appel à la Confrérie des chasseurs de livres. Constituée d’érudits, de mercenaires, de mécènes, d’agents secrets, elle offre à Villon une mission à la mesure de son génie débridé. Et de son insolence. Mais comme c’est à l’esprit contestataire que mon roman rend hommage, Villon n’obéira pas aveuglément aux consignes et montera son propre coup d’éclat. En franc-tireur.
Ces mêmes chasseurs de livres possèdent un arsenal de manuscrits et éditions dont la diversité abracadabrante me donne toute licence pour inclure en un même volume un conte picaresque, un écrit subversif, un traité de bibliophilie, un roman d’espionnage, un essai de psychologie, quelques poésies et deux canulars. Seule façon de mettre en scène une destinée aussi riche et complexe que celle de Villon sans la priver de sa dimension de légende.
Mon précédent héros s’était mis dans l’idée de Sauver Mozart. Villon, lui, va sauver ce qu’il appelle la Parole. Et par là, tous deux sauvent leur âme, sinon la nôtre. On ne peut sauver la musique qu’en la jouant. Et la parole qu’en parlant. Ou en écrivant. Même des histoires. Surtout des histoires.
Ceci est l’une d’elles. » R.J.

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Vie et destin de Célestin Arepo

Vie et destin de Célestin Arepo
Millon Jérôme
Ed. Fosse aux ours

SUR LA PALETIE INFINIE des couleurs, «assurément c'est le gris qui peut donner à la vie de Célestin les reflets d'une existence marquée par l'ennui. Pas le noble gris de son costume dominical, plutôt le gris du ciel quand les jours s'étirent monotones et qu'on oublie qu'il y eut et qu'il y aura un soleil pour nous réchauffer l'âme.
Si un chiffre doit qualifier cet homme, ce ne sont pas les neuf premiers, trop singuliers, trop originaux, trop indispensables dans l'infini des combinaisons; pas plus que le zéro dont la rondeur assure tant de souplesse dans l'articulation des dizaines ... 212 conviendrait mieux, nombre qui n'a pas de sens, sans personnalité.
Identique, qu'on le prenne à l'endroit ou à rebours, il est l'insignifiance même, divisible et sans intérêt. Incognito. »
Célestin ou l'éloge de l'incertitude.

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Il faut beaucoup aimer les hommes

Il faut beaucoup aimer les hommes
Darrieussecq Marie
Ed. POL

PRIX MEDICIS 2013

Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. Il se trouve que l’homme est noir. « C’est quoi, un Noir ? Et d’abord, c’est de quelle couleur ? » La question que pose Jean Genet dans Les Nègres, cette femme va y être confrontée comme par surprise. Et c’est quoi, l’Afrique ? Elle essaie de se renseigner. Elle lit, elle pose des questions. C’est la Solange du précédent roman de Marie Darrieussecq, Clèves, elle a fait du chemin depuis son village natal, dans sa « tribu » à elle, où tout le monde était blanc.

L’homme qu’elle aime est habité par une grande idée : il veut tourner un film adapté d’Au cœur des ténèbres de Conrad, sur place, au Congo. Solange va le suivre dans cette aventure, jusqu’au bout du monde : à la frontière du Cameroun et de la Guinée Équatoriale, au bord du fleuve Ntem, dans une sorte de « je ntem moi non plus ».

Tous les romans de Marie Darrieussecq travaillent les stéréotypes : ce qu’on attend d’une femme, par exemple ou les phrases toutes faites autour du deuil, de la maternité, de la virginité... Dans Il faut beaucoup aimer les hommes cet homme noir et cette femme blanche se débattent dans l’avalanche de clichés qui entoure les couples qu’on dit « mixtes ». Le roman se passe aussi dans les milieux du cinéma, et sur les lieux d’un tournage chaotique, peut-être parce qu’on demande à un homme noir de jouer un certain rôle : d’être noir. Et on demande à une femme de se comporter de telle ou telle façon : d’être une femme.

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Faber. Le destructeur

Faber. Le destructeur
Garcia Tristan
Ed. Gallimard

Dans une petite ville imaginaire de province, Faber, intelligence tourmentée par le refus de toute limite, ange déchu, incarne de façon troublante les rêves perdus d'une génération qui a eu vingt ans dans les années 2000, tentée en temps de crise par le démon de la radicalité.
«Nous étions des enfants de la classe moyenne d'un pays moyen d'Occident, deux générations après une guerre gagnée, une génération après une révolution ratée. Nous n'étions ni pauvres ni riches, nous ne regrettions pas l'aristocratie, nous ne rêvions d'aucune utopie et la démocratie nous était devenue égale. Nous avions été éduqués et formés par les livres, les films, les chansons – par la promesse de devenir des individus. Je crois que nous étions en droit d'attendre une vie différente. Mais pour gagner de quoi vivre comme tout le monde, une fois adultes, nous avons compris qu'il ne serait jamais question que de prendre la file et de travailler.»

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Plonger

Plonger
Ono-dit-Biot Christophe
Ed. Gallimard

PRIX RENAUDOT DES LYCEENS 2013

«Ils l'ont retrouvée comme ça. Nue et morte. Sur la plage d'un pays arabe. Avec le sel qui faisait des cristaux sur sa peau.»
Un homme enquête sur la femme qu'il a passionnément aimée. Elle est partie il y a plusieurs mois, pour une destination inconnue, le laissant seul avec leur petit garçon.
Elle était artiste, elle s'appelait Paz. Elle était solaire, inquiète, incroyablement douée. Elle étouffait en Europe.
Pour son fils, à qui il doit la vérité sur sa mère, il remonte le fil de leur amour – leur rencontre, les débuts puis l'ascension de Paz dans le monde de l'art, la naissance de l'enfant – et essaie d'élucider les raisons qui ont précipité sa fin.
Des trésors de la vieille Europe aux mégapoles du Nouveau Monde, du marbre des musées au sable des rivages où l'on se lave de tout, Plonger est l'histoire d'un couple de notre temps. En proie à tous les vertiges d'une époque où il devient de plus en plus difficile d'aimer.

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Pietra viva

Pietra viva
de Recondo Leonor
Ed. Sabine Wespieser

Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d’Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociants, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l’auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d’Andrea, il ne cesse d’interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre. Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son oeuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir. La naïveté et l’affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo. Parce qu’enfin il s’abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d’une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son œuvre. Il retrouvera désormais ceux qu’il a aimés dans la matière vive du marbre.

J'habite la maison de Louis Scutenaire

J'habite la maison de Louis Scutenaire
Toussaint Pascale
Ed. Weyrich

Louis Scutenaire est un de nos grands écrivains surréalistes belges. Ses amis, René Magritte, d’origine picarde comme lui, Paul Nougé, Marcel Mariën et beaucoup d’autres, étaient des familiers de la « Luzerne ».
Bien plus qu’une nouvelle biographie du poète, le roman ouvre un dialogue à travers le temps entre les occupants successifs de la maison schaerbeekoise.
On y découvre tour à tour la tendresse abrupte, l’impertinence débonnaire d’un personnage hors du commun et la complicité discrète dont l’auteure entoure l’évocation alternée de deux quotidiens entremêlés.

La nuit en vérité

La nuit en vérité
Olmi Véronique
Ed. Albin Michel

« Et se regarder nu, face au miroir, jamais il ne le ferait, jamais il ne serait ce garçon qui en lui faisant face lui ferait honte. Enzo ne voulait pas être son ennemi. Il voulait aimer le jour, la nuit, la peur, Liouba, et lui-même si c'était possible. »

À travers la relation forte et fragile entre une mère trop jeune et un fils au seuil de l'adolescence qui vivent chacun à leur façon l'expérience de l'exclusion et de la détresse intérieure, Véronique Olmi renoue avec la tension narrative de Bord de mer, cette amplitude romanesque où la retenue, l'émotion et la brutalité forment une ronde parfaite.

Le rire du grand blessé

Le rire du grand blessé
Coulon Cécile
Ed. Viviane Hamy

Seuls circulent les livres officiels. Le choix n'existe plus. Le «Grand», à la tête du Service National, a mis au point les «Manifestations À Haut Risque», lectures publiques qui ont lieu dans les stades afin de rassembler un maximum de consommateurs. Peuvent alors s'y déchaîner les passions des citoyens dociles. Des Agents de sécurité - impérativement analphabètes - sont engagés pour veiller au déroulement du spectacle et maîtriser les débordements qui troublent l'ordre public.

1075, compétiteur exceptionnel, issu de nulle part et incapable de déchiffrer la moindre lettre, est parfait dans ce rôle. Il devient le meilleur numéro ; riche, craint et respecté. Jusqu'au jour où un molosse - monstre loué pour pallier les défaillances des Agents - le mord. À l'hôpital, où on le dorlote pourtant comme un bébé, sa vision bascule.

Le Rire du grand blessé est l'histoire féroce, jubilatoire, d'une société qui porte aux nues la Culture du Divertissement.

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