Le ramassement de soi. Récits et réflexions

Le ramassement de soi. Récits et réflexions
Nizon Paul
Ed. Actes Sud

Paul Nizon met ici en lumière l'absolue liberté des créateurs, à commencer par la sienne, invitant à jouer sa vie comme un passant, entre émerveillement et fuite. Il s'agit de se laisser absorber par le monde - par le biais des voyages, des villes, des femmes - et de le regarder, de l'écrire pour l'absorber à son tour.

Tout en rendant hommage à Van Gogh, mais aussi à Soutine et Dietrich, pour la peinture ; aux cinéastes Fellini et Bertolucci ; aux écrivains Robert Walser, Sean O'Casey..., Paul Nizon évoque aussi bien des souvenirs analysés que des réflexions sociologiques nées de l'observation du quotidien ou des fragments d'un art poétique. Les entretiens, quant à eux, reviennent de manière éclairante sur sa conception de l'écriture, du père et de la paternité, du bonheur...

Dans un style d'une extrême justesse, qui passe de la prose poétique au ton de la causerie et de l'humour, ce recueil peut constituer aussi bien une voie d'entrée dans l'oeuvre de Paul Nizon qu'un moyen d'approfondissement de son cheminement humain, intellectuel et artistique.

Le jour où le temps s'est arrêté

Le jour où le temps s'est arrêté
Sahlberg Göran
Ed. Actes Sud

Nyckelberg, village suédois dans les ombres de la guerre froide. Un jeune garçon raconte une période décisive de sa vie. Son père, un prêcheur dévoué, est obnubilé par la fin du monde qui approche alors qu'il reste tant d'âmes à sauver. Le garçon ne pense qu'à suivre les traces de son père, au grand désespoir de sa mère qui plaide pour une 'enfance normale en survêtement'. Hanté par l'Armageddon, il se barricade derrière sa machine à écrire pour rédiger des sermons, en commençant par l'éloge funèbre de Viola, caissière de la supérette locale.

Ses parents ayant disparu de manière brutale, il comprend qu'ils ont été évacués, avec nombre de fidèles, dans le royaume divin, et que lui-même n'était pas assez pur pour être élu. Viola, désormais chargée de lui, l'emmène alors en Scanie avec le secret espoir de rencontrer Dag Hammarskjöld, secrétaire général des Nations unies, dont elle est tombée amoureuse.

Signant d'un livre aussi chargé d'humour que d'élucubrations comme seul sait en élaborer un enfant perturbé par une relation fusionnelle avec le père - et l'on pense ici à Stig Dagerman ou Pär Lagerkvist -, Göran Sahlberg s'annonce comme un de ceux qui pourraient, après les très grands des années 1960-1970, former une nouvelle génération d'écrivains en Suède.

Glyphe

Glyphe
Everett Percival
Ed. Actes Sud

Très vite, le prodigieux QI et la vulnérabilité du bébé Ralph ont fait de lui l'objet de toutes les convoitises : celle du docteur Steimmel, une psychiatre en mal de reconnaissance, qui veut lui disséquer le cerveau. Celle des services secrets du Pentagone qui voient en l'enfant un précieux atout stratégique. Celle, enfin, des tenants de la religion désireux de vérifier sur lui l'efficacité de leurs rituels d'exorcisme...

Brutalement arraché à son père, un universitaire aussi ambitieux que frustré, et à sa mère, une artiste peintre qui doute de son talent, Ralph, qui refuse de parler mais maîtrise avec brio le langage écrit, relate les enlèvements dont il est successivement victime sans cesser de rédiger des notes sophistiquées inspirées des nombreuses lectures que lui a procurées sa mère adorée dont l'amour inconditionnel et désintéressé fait figure d'unique repère au milieu de l'hystérie générale.

Les réflexions intentionnellement pédantes du bébé mutique constituent l'un des points forts de ce récit jubilatoire où Percival Everett détourne les conventions du discours savant au profit d'une savoureuse composition romanesque en convoquant tour à tour le traité de physique, la controverse sémiotique ou l'essai philosophique. Parodie de structures et de genres, satire des milieux universitaires au fil de démonstrations délirantes et de dialogues improbables entre Socrate et James Baldwin ou Wittgenstein et Nietzsche, ce roman irrévérencieux se plaît à malmener nombre d'icônes du postmodernisme, dont Roland Barthes, qui y apparaît en 'protagoniste invité' sous les traits d'un clown burlesque aux propos abscons...

Dans ce récit mené tambour battant où l'érudition rencontre l'absurde comme son envers obligé, Percival Everett, à travers les tribulations de son bébé héros, propose une réjouissante peinture des névroses dont se nourrit l'aventure humaine.

Demain

Demain
Swift Graham
Ed. Gallimard/Du monde entier

Cette nuit, Paula Hook ne dort pas. Car demain est un jour chargé d'angoisse. C'est demain que son mari Mike doit révéler à leurs jumeaux de seize ans un secret touchant à leur origine, un secret qui va bouleverser leur existence heureuse. Alors, en attendant le matin, dans un monologue insomniaque, Paula va donner sa propre version des faits : l'histoire d'un grand amour, la chronique d'une vie, d'un couple, d'une famille.
Une fois de plus, Graham Swift nous offre une méditation poétique et fervente sur notre condition à tous, nos destinées modestes et pourtant romanesques, prises entre le hasard et la nécessité. Et, face aux aléas de l'Histoire et de la biologie, il réaffirme avec force et tendresse une croyance magnifique dans la vérité des sentiments.

L'enchanteresse de Florence

L'enchanteresse de Florence
Rushdie Salman
Ed. Plon/Feux croisés

Curieuse apparition que ce jeune homme blond fièrement dressé sur un char à boeufs et sur le point d'entrer à la cour du grand Moghol, au coeur des Indes. Le voyageur se fait appeler «Mogor dell'Amore» et prétend détenir un secret. Ce qu'il va révéler à l'empereur est une histoire fantastique : il affirme être le fils de l'Enchanteresse de Florence, princesse moghole oubliée, maîtresse sulfureuse d'un soldat florentin, à la beauté envoûtante et aux pouvoirs mystérieux.

Sa légende est nimbée d'une aura de magie, d'énigme et de mensonge. L'empereur ne sait que croire, jusqu'à ce que l'Enchanteresse à la jeunesse éternelle, le visite en rêve... Son histoire nous emmène sur les traces d'un destin fabuleux et relie un Orient conquérant et contemplatif à l'Occident sensuel et terrible de la Renaissance florentine. D'une cour l'autre, au rythme des complots et des intrigues, on croise sorcières et fêlons, l'ombre de Savonarole, les Vespucci ou Machiavel, personnages troubles qui peuplent la légende de l'Enchanteresse de Florence.

Rushdie s'adonne ici à la magie, compose une oeuvre foisonnante et prouve une fois encore une puissance créatrice hors du commun.

Pluie rouge

Pluie rouge
Nooteboom Cees
Ed. Actes Sud

Chaque été, depuis quarante ans, son automobile surchargée de livres, de documents, de recettes de cuisine, d'images glanées partout dans le monde et d'un entassement de valises, Cees Nooteboom quitte Amsterdam, traverse la France et regagne l'Espagne où il s'embarque enfin pour Minorque.

C'est cette île qu'il nous raconte ici, le bonheur d'y retrouver l'isolement, la lumière et la mer, le retrait nécessaire à l'écriture, l'austère beauté des terres, l'humilité des êtres, la présence rassurante ou malicieuse du règne animal, la force des pierres et l'infinie sérénité d'un jardin où les arbres ont grandi, témoins immobiles des temps perdus.

Ainsi se déploie toute une vie. Car c'est bien la biographie de l'auteur qui court à travers ce livre, une façon de se mettre en scène, de se souvenir ou d'avouer ce qui est oublié : avec légèreté, humour, ironie ou émotion, mais toujours avec le plaisir de dire, car pour Nooteboom ce qui n'est pas raconté n'est pas vraiment vécu.

« Et puis, un beau jour, les archives sont pleines. Les souvenirs sont engrangés, il est temps de rentrer vers la ville aquatique où j'ai ma maison, vers l'Europe de mes premiers voyages en stop et vers l'île estivale, l'île du jardin avec ses deux palmiers que j'ai plantés il y a plus de trente ans et qui, tout ce temps, sont restés au même endroit tandis que je dansais autour du monde. »

Oeuvres - Pavese

Oeuvres - Pavese
Pavese Cesare
Ed. Gallimard/Quarto

« Autrefois on disait déjà la colline comme on aurait dit la mer ou la forêt. J'y allais le soir, quittant la ville qui s'obscurcissait, et, pour moi, ce n'était pas un endroit comme un autre, mais un aspect des choses, une façon de vivre. [...] J'y montais le soir pour éviter le sursaut des alertes : les chemins fourmillaient de gens, de pauvres gens que l'on évacuait pour qu'ils dorment au besoin dans les prés, en emportant un matelas sur leur vélo ou sur leur dos, criaillant et discutant, indociles, crédules, amusés. » Cesare Pavese, La Maison des collines, 1948.

Comprend :  

Travailler fatigue : suivi de deux essais critique sur sa poésie
Par chez toi
La plage
Vacance d'août
Le camarade
Dialogues avec Leuco
Avant que le coq chante
Le bel été
La Lune et les feux
Le métier de vivre : édition intégrale accompagnée d'un choix de lettres 

 

Journal d'une année noire

Journal d'une année noire
Coetzee John Maxwell
Ed. Seuil/Cadre vert

Un éditeur donne à J.C., écrivain australien d'origine sud-africaine, l'occasion d'exprimer ses opinions sur des sujets de son choix : musique, sport, pédophilie, servitude volontaire, Machiavel, démocratie, Guantanamo, torture, terrorisme, etc. Par alter ego interposé, J.M. Coetzee jette sur notre monde un regard intransigeant et livre une méditation crépusculaire sur la vieillesse, le déclin des forces créatrices, la mort.

Ralenti par la maladie, il confie la dactylographie de ses essais à une jeune voisine philippine qui l'émoustille. Dotée d'un solide bon sens, celle-ci critique ses idées, discute les textes avec son compagnon, financier peu scrupuleux, et finit par ôter leur tranchant aux opinions arrêtées de l'auteur, inspirant à Señor C une deuxième livraison d'opinions 'adoucies'.

Le texte se dispose sur la page comme une partition sur trois portées pour des voix tantôt en résonance, tantôt en discordance. L'amour-tendresse et la compassion s'offrent en contrepoint de la disgrâce et du désespoir tandis que J.C. s'apprivoise à la mort dans l'admiration de Bach et de Dostoïevski.

Garder le sens mais altérer la forme

Garder le sens mais altérer la forme
Sontag Susan
Ed. Christian Bourgois

Premier ouvrage posthume de Susan Sontag, ce recueil rassemble seize essais et discours auxquels elle travailla jusqu'à sa mort. Ses considérations sur la beauté, la littérature russe et l'art de la traduction littéraire voisinent avec des textes - manifestes sur la situation en Israël, le 11 Septembre et Abou Ghraib. Mais, plus que dans aucun autre livre, Susan Sontag exprime ici sa foi en la littérature et le pouvoir qu'elle lui confère. Elle y dévoile ses centres d'intérêt majeurs - la lecture, l'écriture, la traduction - ainsi que ces qualités qu'elle prisait avant tout, dans son travail comme dans sa vie : l'honnêteté intellectuelle et morale ainsi que l'esprit de sérieux.

La pluie, avant qu'elle tombe

La pluie, avant qu'elle tombe
Coe Jonathan
Ed. Gallimard/Du monde entier

Rosamond vient de mourir, mais sa voix résonne encore, dans une confession enregistrée, adressée à la mystérieuse Imogen. S'appuyant sur vingt photos soigneusement choisies, elle laisse libre cours à ses souvenirs et raconte, des années quarante à aujourd'hui, l'histoire de trois générations de femmes, liées par le désir, l'enfance perdue et quelques lieux magiques. Et de son récit douloureux et intense naît une question, lancinante : y a-t-il une logique qui préside à ces existences ?
Tout Jonathan Coe est là : la virtuosité de la construction, le don d'inscrire l'intime dans l'Histoire, l'obsession des coïncidences et des échos qui font osciller nos vies entre hasard et destin. Et s'il délaisse cette fois le masque de la comédie, il nous offre du même coup son roman le plus grave, le plus poignant, le plus abouti.

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