L'ange exilé. Une histoire de la vie ensevelie

L'ange exilé. Une histoire de la vie ensevelie
Wolfe Thomas
Ed. Age d'homme

Roman du déchirement et de la nostalgie, de la solitude et du nombre, de la sensualité et de l'imagination, L'Ange exilé (Look homeward, Angel) fut l'une des sensations de la vie littéraire américaine en 1929. A l'heure de la banqueroute nationale, il annonce la naissance d'un barde du nouveau monde. Il raconte la vie secrète du jeune Eugène Gant, en conflit permanent avec une famille tumultueuse, une bourgade étriquée, un univers changeant et problématique. Cette chronique d'apprentissage et d'initiation si apparemment autobiographique et parfois si vengeresse fit scandale dans le pays de l'auteur. Mais L'Ange exilé est autre chose qu'un règlement de comptes. C'est une tentative passionnée de restitution totale d'une réalité perdue ; c'est une fantastique galerie de portraits vivants ; c'est une exploration exhaustive des profondeurs « ensevelies » d'une conscience. C'est un hymne rhapsodique à la nature et aux saisons. C'est une quête angoissée du sens de l'existence. Roman des sources et roman-source, L'Ange exilé a la sombre densité de l'âme sudiste, la richesse inventive de la grande littérature.

Estimé aux États-Unis, en Allemagne, en Scandinavie, dans les pays slaves, Wolfe n'est pas exactement un génie méconnu. Mais son passage a été trop fulgurant, sa symphonie trop inachevée. L'Ange exilé, classique américain, est comme l'entrée triomphale d'un monument original dont les contemporains du romancier ont admiré la grandeur et qui a impressionné la mémoire des plus grands écrivains de son pays et du XXe siècle. William Faulkner ne s'y est pas trompé lorsqu'il déclarait : « J'ai classé mes contemporains et moi-même non selon ce que nous avons accompli, mais selon la splendeur de notre échec, et j'ai classé Thomas Wolfe en tête, non en raison de ce qu'il a accompli, mais parce que c'est lui qui a osé le plus. »

Haute société

Haute société
Sackville-West Vita
Ed. Autrement

« Plusieurs lettres venaient de Londres - il était donc à Londres au mois d'août ? Pourquoi ? Était-il malheureux à ce point ? Elle en fut soulagée quelques instants... Il avait dû venir à Londres à cause d'elle. Elle en éprouva comme une vengeance.

Le contenu de ces lettres la tourmentait et pourtant elle aurait bien voulu le connaître. Elle hésita encore, le coupe-papier à la main. Elle avait eu le courage de n'en ouvrir aucune. Tout d'abord elle s'y était refusée de peur que ses supplications ne fissent fléchir sa résolution. À présent, elle craignait de les ouvrir, de peur d'y trouver des supplications moins ferventes qu'elle ne l'eût espéré. Si elle y avait décelé la moindre réticence, elle aurait cru pouvoir en mourir. Non, non. Elle écarta la pile de lettres, et lança le coupe-papier à travers la chambre, comme s'il se fût agi d'un poignard. »

Evelyn Jarrold, dont le mari a été tué au combat, est une parfaite représentante de la haute bourgeoisie oisive. Sophistiquée, exigeante, sensible et impulsive, elle tombe amoureuse de Miles Vane-Merrick, un député réformiste, de quinze ans plus jeune quelle. Mais Miles, même s'il l'aime sincèrement, se sent avant tout porté vers ses ambitions et « l'ivresse du moment ». À l'intérieur du même monde, ils subissent des influences contradictoires. Qui, dans cette relation complexe, pourra rester fidèle à l'autre ? Est-il seulement possible de céder à ses désirs ?

La fille du fossoyeur

La fille du fossoyeur
Oates Joyce Carol
Ed. Philippe Rey

En 1936, les Schwart, une famille d'émigrants fuyant désespérément l'Allemagne nazie, échouent dans une petite ville du nord de l'État de New York où le père, Jacob, un ancien professeur de lycée, ne se voit offrir qu'un travail de fossoyeur-gardien de cimetière. Un quotidien fait d'humiliations, de pauvreté et de frustrations va les pousser à une épouvantable tragédie dont Rebecca, la benjamine des trois enfants, sera le témoin.

Ainsi débute l'étonnante vie à multiples rebonds de Rebecca Schwart : après avoir épousé Niles Tignor, un homme abusif et dangereux, elle doit fuir pour protéger son petit garçon, et tenter de se reconstruire. Les villes, les métiers, les hommes défilent, jusqu'à sa rencontre avec Chet Gallagher, promesse d'un bonheur enfin possible. Mais surgit alors le désir profond, d'abord inconscient, de retrouver son passé cruel de «fille du fossoyeur», de se rattacher en fin de compte à sa véritable identité. Le destin ne le lui permettra qu'au terme d'une existence d'intranquillité, dans les dernières pages bouleversantes de ce roman.

L'apprentissage des hommes, du mariage, de la maternité, les combats d'une femme dans la société américaine de l'après-guerre racontés par Joyce Carol Oates au sommet de son talent, font de ce livre un hymne inoubliable à la résilience et à la survie.

Fugitives

Fugitives
Munro Alice
Ed. L'Olivier

«C'était la deuxième fois qu'elle laissait tout derrière elle. La première fois, c'était exactement comme dans la chanson des Beatles - elle avait posé un mot sur la table et s'était faufilée hors de la maison à cinq heures du matin pour retrouver Clark sur le parking de l'église, au bout de la rue. Elle fredonnait d'ailleurs cette chanson dans la camionnette qui accélérait en vrombissant. She's leaving home, bye-bye.»

Elles partent. Fuguent. S'enfuient. S'en vont voir ailleurs.

Elles : des femmes comme les autres. Par usure ou par hasard, un beau matin, elles quittent le domicile familial (ou conjugal), sans se retourner.

En huit nouvelles, Alice Munro met en scène ces vies bouleversées. Avec légèreté, avec férocité, elle traque les marques laissées sur les visages par le temps, les occasions perdues, les petits arrangements que l'on croyait provisoires.

Parures d'emprunt

Parures d'emprunt
Fox Paula
Ed. Joëlle Losfeld

C'est une enfant délaissée par une mère indifférente et un père alcoolique que Paula Fox décrit dans le récit des vingt étranges et douloureuses premières années de sa vie. Alors même qu'ils confient à d'autres l'éducation de leur fille, notamment à un pasteur affable et cultivé qui lui transmettra l'amour de la littérature et à sa grand-mère qui l'emmènera vivre à Cuba, les parents de Paula Fox ne cesseront d'aller et venir dans sa vie. Ce sont eux les véritables enfants de cette histoire, des enfants terribles, beaux, fous, intelligents, autodestructeurs et incapables de s'occuper de leur fille, dont les différents voyages à travers le continent, de Cuba à Montréal en passant par Hollywood, rythment une existence qui lui paraît incohérente. La constante, le lien qu'elle y trouvera, sera ces « parures d'emprunt », vêtements toujours prêtés par des inconnus au grand coeur qui l'aideront à grandir dans le chaos. Sans jamais s'apitoyer, dans un style élégant et précis, Paula Fox revient dans ses Mémoires sur des années difficiles, en portant toujours un regard à la fois acéré et tendre sur la condition humaine.

Un garçon parfait

Un garçon parfait
Sulzer Alain Claude
Ed. Jacqueline Chambon

Ernest travaille dans le restaurant d'un palace à Giessbach, en Suisse. C'est un garçon parfait, aussi strict dans le travail que dans la vie. Mais cette dignité imperturbable cache la blessure jamais guérie de la violente passion qu'il a connue pour Jacob, un garçon parfait comme lui, Jacob qui l'a abandonné pour suivre en Amérique Julius Klinger, le grand écrivain allemand. C'était après 1933, dans ces années troublées où beaucoup de clients, fuyant l'Allemagne nazie, venaient trouver refuge, avant les rigueurs de l'exil, dans ce luxueux hôtel qui avait si souvent abrité leurs insouciantes villégiatures. Mais rien n'était plus pareil et Sulzer rend palpable la peur obscure qui hante désormais ces salons trop rassurants et tisse avec subtilité les fils des drames intimes et ceux de la tragédie historique. Il faudra la fin de la guerre et le retour d'exil de Klinger pour que s'affrontent deux mémoires dans l'ultime combat d'une rivalité amoureuse. C'est ce qui prête au roman une tension dramatique qui va crescendo et tient jusqu'au bout le lecteur en haleine.

Prix Médicis étranger 2008

Echos illusoires du luth suivi du Goût en héritage

Echos illusoires du luth suivi du Goût en héritage
Sôseki Natsume
Ed. Serpent à plumes

Les Échos illusoires du luth mettent en scène un jeune homme naïf, impressionnable, mais qui cherche à « résister » aux forces obscures. Après une nuit d'angoisse et d'incidents tragi-comiques, une aube mouvementée, une séquence hilarante chez un barbier, Yasuo retrouvera un « moi » régénéré et heureux. Le Goût en héritage décrit des hommes qui rentrent de la guerre et les liens mystérieux qui se tissent entre une femme et la mère d'un soldat disparu.

Une atmosphère sombre, onirique, traversée de fulgurances poétiques. Les deux nouvelles mélangent réalisme et fantastique. On y découvre la patte de l'écrivain, avec ses réflexions ironiques ou désabusées, son recul tendre par rapport au ridicule de ses personnages, son attirance pour des caractères au psychisme ambigu, presque limite, son goût pour les situations comiques, voire grotesques, et ses notations poétiques.

Errances dans la nuit

Errances dans la nuit
Naoya Shiga
Ed. Gallimard/Connaissance de l'Orient

Errances dans la nuit est le roman unique de Shiga Naoya (1885-1971), contemporain de Tanizaki Jun.ichiro, désormais bien connu en Occident. L'oeuvre de Shiga Naoya, elle, très resserrée et, en un sens, plus discrète et confidentielle, illustre à la perfection la conception individualiste du récit dit 'récit du Je' (Shi.shôsetsu), prônée en particulier par le groupe Shirabaka (Le Bouleau) en réaction contre les excès d'un certain 'naturalisme'. Soutenues par un style d'une inimitable pureté, à la fois simple et concis, des nouvelles fort nombreuses assuraient déjà à l'auteur une place prépondérante dans l'histoire littéraire du Japon; mais lui-même considérait comme son oeuvre dominante ce roman unique, d'élaboration lente et publié en deux fois - en 1921 et 1937. Malgré l'affleurement inévitable, ici et là, d'événements personnels vécus, Errances dans la nuit n'est aucunement un roman autobiographique, et l'auteur insistait beaucoup là-dessus. S'y déroulent au ralenti, image après image, comme une peinture en rouleau, le drame douloureux et les soubresauts d'un jeune romancier dont la vie d'homme et d'artiste se trouve déchirée par deux crises successives d'où il émerge difficilement et cruellement éprouvé. 'L'une des grandes oeuvres du demi-siècle', selon René Sieffert.

La Baleine

La Baleine
Myônggwan Ch'ôn
Ed. Actes Sud

Il y a plusieurs baleines plus ou moins métaphoriques dans ce roman loufoque et sans limites : un mammifère marin aux allures de mauvais augure, un éléphant malin aux conseils poétiques et avisés, un cinéma architecturalement révolutionnaire, mais aussi la solitaire Ch'unhui, enfant-monstre muette, recluse dans une obésité autistique. Pas de répit pour celle qui deviendra, à titre posthume, 'la reine des briques', prise comme au piège dans sa vaine et immobile quête d'affection maternelle. Car Kumbok, la mère, a d'autres chats à fouetter, extraordinaire et inépuisable bout de femme harcelée mais jamais démontée par les coups répétés d'un destin impitoyable.

Hymne ironique à la libre entreprise, célébration malicieusement féministe de la femme triomphante, relecture irrévérencieuse et politiquement incorrecte des contes et légendes traditionnels, La Baleine déploie sa fantaisie burlesque entre farce nietzschéenne et fable fantastique, entre réalisme magique et néoréalisme documentaire.

Chef de file d'une génération affranchie des vieux carcans, Ch'on Myonggwan, quarante ans et des poussières, héritier métis de García Márquez et de Faulkner, fait souffler un vent de folie et de liberté sur la littérature coréenne.

Vous comprendrez donc

Vous comprendrez donc
Magris Claudio
Ed. L'Arpenteur

Une femme, par-delà la mort, se confie à un mystérieux «Président». Moderne avatar d'Eurydice, cette femme avait obtenu la permission exceptionnelle de rejoindre l'homme qu'elle aime, mais elle a décidé de ne pas l'utiliser et s'en explique. Elle a partagé avec son époux le bonheur, la plénitude, le vide et la catastrophe d'être ensemble. Depuis la pénombre de l'outre-tombe, c'est maintenant l'écho d'un amour qui remonte vers le jour, le recours au mythe d'Orphée, à la fois subtil et ironique, tenant à distance le pathos du deuil.

Si ce monologue actualise l'un des récits qui ont su le mieux raconter la passion amoureuse soumise à l'épreuve de la mort, l'écriture nocturne de Claudio Magris sait y instiller des accents d'une troublante singularité tout en préservant la dimension d'universalité du mythe classique.

Newsletter