Bienvenue à Bonbon Palace! Elif Shafak nous ouvre grand les portes de cet immeuble d'Istanbul, jadis bâti par un riche Russe pour son épouse dont le regard vide ne s'allumait plus qu'à la vue de friandises... Si l'édifice a gardé une élégance surannée, il est aujourd'hui infesté par la vermine et les ordures, au grand dam de ses habitants. Les coups de sang ne sont pas rares à Bonbon Palace! Appartement après appartement, nous sommes invités à rencontrer les membres aussi excentriques qu'attachants de cette petite communauté d'un quartier populaire : le religieux gérant Hadji Hadji; la desperate housewife Nadja; la cafardeuse Maîtresse bleue, Meryem, mère de famille portant la culotte; Hygiène Tijen, qui n'a pas volé son surnom; les jumeaux coiffeurs Djemal et Djelal, au centre de tous les commérages; notre narrateur, philosophe dépassé par les femmes...
Géniale conteuse, Elif Shafak nous fait découvrir dans ce roman choral pimenté les petits secrets, les menus drames et les grandes espérances de chacun. Ses personnages hauts en couleur composent une véritable mosaïque de la société turque actuelle, reflétant ses aspirations, ses tensions et ses contradictions.
Dans les années 1930, un couple de Japonais s'installe à Batavia et occupe une modeste maison dont il partage le jardin avec deux autochtones, Eurasiennes désoeuvrées et cancanières. Dans ce jardin, une plante immense aux bras tendus vers le ciel semble déplaire à la jeune femme : raide et agressive, cet aloès lui fait regretter l'élégance des pivoines odorantes de son pays natal.
Derrière la haie, les voisines épient Mme Yamada à longueur de journée, interprètent les mystères de son comportement. Mais lorsqu'elle sera en danger tout près de l'aloès, les deux commères assisteront sans comprendre à un drame qui les dépasse...
Ecrites depuis 1948, les sept nouvelles rassemblées ici par l'auteur illustrent parfaitement la thématique de l'ensemble de son oeuvre.
Elles abordent ainsi le thème du secret, ou de l'empathie avec un passé dont la présence peut être étrangement ressentie, et parfois envahir notre imaginaire.
Raffinement, solidité de l'écriture : marque indélébile d'un auteur qui montre à travers le temps une remarquable permanence ; finesse psychologique et puissance imaginative qui ne se contente pas d'investir le passé mais s'aventure souvent aux franges de l'étrange. Ce petit livre complète avec bonheur la découverte de l'oeuvre de la grande romancière néerlandaise.
«...Ainsi je me retrouvais seule tout à coup, livrée à ma propre décision. Je me sentis brusquement pâlir et je regardai, incertaine, de tous les côtés, comme si je cherchais quelque chose à quoi me raccrocher. Le concierge, à qui je m'adressai, me reconnut et me demanda ce que je souhaitais - et je voulus lui répondre, mais alors seulement je remarquai que je tremblais de tout mon corps : Ma voix était enrouée, artificielle, lorsque je demandais la chambre d'Ena.» (Voir une femme)
«Nous sommes dans le hall d'un luxueux hôtel de Saint-Moritz... La narratrice parle de son désir et de son attente comme d'un incendie sur la neige. ... Ena Berstein, la femme aimée, est une déesse inaccessible, dont la vision lointaine sèche la bouche et détruit le coeur...
A lire cette nouvelle (écrite à l'âge de 21 ans) chacun comprendra pourquoi celle qui l'écrivit n'aurait pu vivre longtemps...» (Etienne Barilier, extraits de sa préface)
Dans sa postface, Alexis Schwarzenbach nous raconte comment il a retrouvé le manuscrit aux archives de Berne ; un vrai travail d'archéologue pour reconstituer un texte oublié et jamais répertorié. «Voir une femme remplit aussi, du point de vue de son contenu, un espace que l'on croyait vide. Annemarie Schwarzenbach avait écrit à un proche, à 20 ans, qu'elle ne pouvait 'aimer que des femmes avec une passion véritable'... Or, avec la découverte de Voir une femme, il apparaît clair qu'Annemarie Schwarzenbach, à 21 ans déjà, avait écrit un texte de 'coming out' soigneusement et sauvagement construit, où rien n'était dissimulé.»
Dans ce roman lumineux, Nuala O'Faolain met en scène une femme généreuse, tourmentée et attachante, qui fait siennes toutes les interrogations de l'écrivain. Best love Rosie est un grand livre sur l'âge, la solitude, l'exil, le sentiment maternel et les chimères de l'amour.
Après avoir vécu et travaillé dans le monde entier, Rosie décide de rentrer à Dublin pour s'occuper de Min, la vieille tante qui l'a élevée. Rien n'a changé dans le quartier populaire où elle a grandi, et la cohabitation avec Min, dépressive et alcoolique, n'a rien d'exaltant. En feuilletant pour sa tante des ouvrages de développement personnel, l'idée vient à Rosie de s'occuper utilement en rédigeant un manuel pour les plus de cinquante ans. Sa seule relation dans l'édition vivant aux États-Unis, elle se frottera, non sans heurts, au marché américain...
Le roman s'emballe quand Rosie voit débarquer à New York la tante Min, qu'elle avait laissée, le temps d'un aller-retour, dans une maison de repos. La vieille dame est galvanisée par sa découverte de l'Amérique : elle se fait des amies, trouve un travail, et pour rien au monde ne voudrait renouer avec son ancienne vie. Encore moins pour reprendre possession de la maison de son enfance, que l'armée veut lui restituer. Rosie, elle, tombe amoureuse de ce lieu magique de la côte irlandaise, et va, dans une osmose avec la nature enchanteresse et les animaux qu'elle adopte, s'y laisser pousser des racines.
La lucidité de Nuala O'Faolain, sa tendresse pour ses personnages, font merveille une fois de plus dans ce livre, où l'on suit avec jubilation souvent, le coeur serré parfois, les tribulations de ces deux femmes que lie toute la complexité d'un amour maternel qui ne dit pas son nom.
Le jour où le balcon de sa maison s'écroule et manque de le tuer, Michael décide qu'il est temps de changer d'air. Sa femme Rebecca, une trentenaire névrosée et dépressive, est soulagée de le voir partir une semaine avec leur fils de trois ans pour Egypt Farm. Michael va y retrouver les Hanbury, figures mythiques de sa jeunesse.
Mais les fêtes d'hier sont terminées, et l'excentricité bohème de la famille Hanbury a tourné au cauchemar. Autour de Paul, le patriarche malade, de sa nouvelle femme, Vivian, et de son fils, Adam, tout n'est plus que déception, échec et renoncement. Egypt Farm est le roman des illusions perdues. Rachel Cusk y fait déjà preuve d'un sens inné de la comédie humaine, avant Arlington Park, qui confirmera ses talents d'observatrice et son humour ravageur.
Capturant toujours le moment crucial où les choses prennent sens, ces nouvelles sont extraites des cinq derniers recueils de l'auteur et sont très représentatives de l'ensemble de son oeuvre. Certaines, très courtes, sont aussi épurées que des poèmes en prose. Elles racontent toutes la vie de Palestiniens ordinaires, de Jérusalem et de ses environs, qui affrontent aussi bien l'occupation israélienne que les lourdes pesanteurs sociales et culturelles avec cet esprit de dérision qui est l'une des principales caractéristiques de la littérature palestinienne.
L'auteur convoque souvent des figures célèbres, telles que Brigitte Bardot, Condoleezza Rice, la chanteuse Shakira ou le footballeur Ronaldo, qui deviennent à leur insu, à travers une photo accrochée au mur, une information à la radio ou un fantasme, les protagonistes d'histoires familiales qui se passent dans une ambiance populaire typique. Mais s'ils sont obnubilés par ces symboles de la nouvelle culture mondialisée, les personnages de Mahmoud Shukair n'aspirent qu'à vivre normalement. Ils veulent échapper au statut de victime dans lequel on les enferme et ne se prennent pas pour des héros. Exactement comme d'autres gens qui leur ressemblent, et qui vivent sous d'autres cieux.
D'où est venu le coup de grâce qui a achevé Alberto Aragón ? Pourquoi l'ex-ambassadeur salvadorien a-t-il fui son pays un matin de juin 1994 pour aller s'égarer dans le labyrinthe de Mexico, vivre ses derniers jours, rongé par l'alcool et abandonné de tous ? Personnage ambigu, impliqué dans d'obscures tractations politiques, homme de confiance de la guérilla salvadorienne et diplomate éphémère au service du gouvernement de la junte militaire, il a longtemps œuvré dans les coulisses d'une guerre civile longue et meurtrière. Pepe Pindonga, un détective salvadorien fou de femmes et d'alcool mais abstème volontaire dont l'incontinence verbale est aussi irrésistible qu'inépuisable, est chargé par un mystérieux ami du défunt, d'equêter sur cette disparition : une mission providentielle pour le privé qui a justement besoin de s'extraire du marasme éthylique d'une peine d'amour comme il n'en a jamais connu.
Le 2 mai 1808, le soulèvement populaire de Madrid contre les troupes napoléoniennes marque le début d'une guerre qui va durer six ans.
Ce récit n'est ni une fiction ni un essai mais la relation minutieuse, heure par heure, des événements vécus par tous les protagonistes de cette journée historique. Soldats, artisans des quartiers de La Paloma, de Lavapiés, du Rastro, hommes, femmes et enfants armés d'escopettes, de ciseaux, de couteaux de cuisine, de haches, de houes, de burins, s'insurgent contre l'occupant et affrontent sauvagement la plus puissante armée du monde. Leurs noms sont ceux qu'a retenus l'Histoire, leur rôle et leurs actions tels qu'ils figurent dans les rapports militaires, les mémoires et les archives. Pour ce livre, dont le véritable personnage est le peuple de Madrid, Arturo Pérez-Reverte a mené un travail de recherche remarquable, n'autorisant son imagination qu'à cimenter entre elles ces centaines d'histoires individuelles et véridiques afin de redonner vie aux héros anonymes et obscurs des gravures et dessins de l'époque, victimes d'une tragédie inscrite à jamais dans l'histoire de l'Espagne.
Lorsqu'il meurt prématurément à quarante-quatre ans, Henry David Thoreau (1817-1862) n'est parvenu à faire paraître que deux ouvrages, A Week on the Concord and Merrimack Rivers (1849) et Walden (1854), mais outre le Journal qu'il tient régulèrement depuis 1837, il laisse un grand nombre de textes soit en préparation soit publiés dans des revues ou prononcés lors de conférences dans sa ville de Concord ou à Boston.
Les trois essais regroupés par sa sœur Sophia et, publiés en 1864 sous le titre The Maine Woods, relatent ses trois voyages (en 1846, 1853 et 1857) dans les profondeurs de l'Etat du Maine, où, quoique l'exploitation intensive en soit déjà bien avancée, subsistent encore de grands pans de forêt primaire. Dans ce pays presque désert, sombre, austère, à l'hydrographie incroyablement complexe, et riche d'une flore et d'une faune très diverses, il peut, plus fortement encore que durant ses promenades autour de Concord, être en contact avec le wilderness, la nature sauvage, intacte, exempte de toute influence humaine, et rencontrer une population - les Indiens - dont il se sent proche par la façon qu'elle a de vivre dans et avec la nature et non pas contre elle.
Point d'angélisme, cependant, dans cette position, comme en témoigne le premier récit, «Le Ktaadn», où Thoreau présente au contraire une nature parfaitement insensible à l'homme et qui ne lui accorde a priori aucune place particulière. C'est dans «Le Chesuncook», le plus lyrique des trois, que le sentiment de fusion avec la nature et la conviction de Thoreau que l'homme ne se sauvera qu'avec elle s'expriment avec le plus d'intensité. Quant à «L'Allegash», c'est avant tout le portrait extrêmement concret, précis et chaleureux d'un Indien, celui qui a été son guide tout au long du troisième voyage, Joseph Polis.
A. F.
Melnitz renoue avec la tradition du grand roman familial du XIXe siècle tissé de bonheurs et de drames, de succès et d'échecs, d'amours et de convulsions, au gré de la grande Histoire qui vient sans cesse bousculer la petite. La saga des Meyer, une famille juive suisse, court sur cinq générations, de la guerre franco-prussienne à la Deuxième Guerre mondiale.
1871 : le patriarche Salomon, marchand de bestiaux, vit à Endingen, l'une des seules bourgades helvétiques où les juifs sont autorisés à résider. A partir de ce berceau des origines, la famille commence son ascension sociale, sans jamais parvenir à s'affranchir du destin des exclus : ce sera Baden puis Zurich, puis l'entrée dans la modernité fracassée par la guerre de 14-18. La famille éclate le syndicalisme militant aux Etats-Unis pour l'un, l'étude talmudique au fin fond d'une Galicie menacée par les Cosaques pour un autre, l'armée sous uniforme français pour un troisième. La roue de l'Histoire tourne...
1945 : l'oncle Melnitz, revenu d'entre les morts, raconte. Lui qui sait tout - Melnitz, ou la mémoire - est le grand récitant de cette admirable fresque, hommage au monde englouti de la culture et de l'humour yiddish, tour de force romanesque salué comme un chef-d'oeuvre par une critique unanime, et devenue un best-seller immédiat dans tous les pays où elle a été publiée.