Le Signal devint le livre-phare d'un groupe de jeunes poètes flamands qui se croyaient à l'avant-garde en imitant le recueil de Paul van Ostaijen. Lui-même s'en était vite détourné en se frottant au mouvement Dada à Berlin. Dans les années vingt, il donna une seconde fois le Signal - celui de la « poésie pure » -, réalisant jusqu'à sa mort en 1928 une oeuvre qui n'a cessé d'inspirer les générations qui ont suivi.
Dans certains pays les arômes percent le coeur et l'on meurt
à moitié éveillé dans la nuit cependant que passent un hibou
et la charrette d'un assassin
Parallèlement à son travail de romancier, Michael Ondaatje poursuit une oeuvre poétique exigeante. Écrits à la main propose une sorte de portraits du Sri Lanka. Les « visions » qui le constituent - l'exhumation d'un bouddha, une famille traversant un champ sur des échasses, la silhouette d'un homme qui marche sous l'orage vers un rendez-vous amoureux - sont autant de clés pour la compréhension des romans de l'auteur, une pierre de Rosette permettant d'en déchiffrer le sens caché.
« Qu'est-ce qui nous fait tellement aimer une frontière ? » Ce livre est un roman, ce livre est un poème. Il est écrit en prose, il est écrit en vers. Il s'intéresse à l'histoire, il a le souci de la géographie. Il circule à cheval dans le XVe siècle, il roule en automobile au XXIe siècle. Il franchit la frontière entre la France et la Belgique, la France et la Suisse, voyageant de Lille à Bruges, de Dijon à Bruxelles, sur les routes de l'ancienne Bourgogne. Bref, il ne tient pas pour acquis ni définitif le partage des espaces nationaux dans l'Europe contemporaine. Il désunit les couples, déplace les bornes, rebat les cartes à grandes chevauchées amoureuses. Fil d'or souple unissant entre eux ces morceaux d'histoire dispersés, s'articulent les panneaux du célèbre Agneau mystique peint à Gand par Jan van Eyck. Dans les silences de l'Histoire, les blancs de l'action, les lendemains de conflits, le peintre a laissé monter un hymne choral composé d'amour et d'admiration. À ces moments-là, il est bon que le roman traverse en direction du poème.
Erri De Luca dit de lui qu’il chante même quand il parle. À lire De ce côté-ci de la mer, on sait désormais que Gianmaria Testa chante aussi quand il écrit. Pour la première fois, il ose le récit, une prose légère, des histoires qui répondent à ses chansons et réenchantent la vie. Mais l’homme du Piémont embrasse avant tout la Méditerranée, cette mer où depuis trop longtemps dérive et se meurt notre humanité. Le voici en compagnie d’hommes, de femmes, « oiseaux migrateurs » d’un genre très contemporain, contraints à l’exil, l’abandon, la mort. Pour eux, le chanteur réinvente des moments de dignité. Voix grave enroulée de tendresse, il chante et écrit l’espoir, et nous invite à l’imaginer avec lui.
Dans l'univers de Proust, le modèle d'Albertine était un homme, et le personnage d'À la recherche du temps perdu a le goût des femmes comme des hommes. Par un savant effet de superposition, Albertine finit d'ailleurs par se confondre avec l'autre grand amour de Marcel dans le roman : Gilberte. Cela valait la peine de démêler les fils, et de faire un point à la fois drôle, décapant et subtil sur cette figure complexe de l'amour dévorant. Anne Carson s'y emploie, par brefs fragments, dans un livre intense qui constitue le bréviaire de tout proustien, et qui donne envie aux autres de lire la Recherche.
Exploration fragmentaire de la réalité, Surgir est un livre inondé de mouvements : le mouvement de l'esprit, du temps, de la mémoire et de l'amour.
Un nouveau volume de prose aphoristique et de poésie philosophique d'Etel Adnan, grande poète et artiste, dont le travail a été décrit par le New York Times comme « l'héritier méditatif des aphorismes de Nietzsche, du Livre d'heures de Rilke et des versets du mysticisme soufi ».
« Il faudrait un texte médical qui détermine ce qui marche dans le corps et ce qui ne marche pas afin de savoir qui est vivant et qui est mort. On sait toujours tout. » Discipline est un manuel poétique qui ouvre les corps aux regards inquiets. Ces corps, ceux des femmes ou des hommes, des mères ou des pères, ces corps noirs effacés à dessein ou ceux filtrés par les écrans, sont abîmés et meurtris, parfois méconnaissables. Qui les violente, qui est à la manœuvre ? Est-ce le corps social et politique pour qui celui de l’individu doit être contenu ? C’est tout l’enjeu du désir d’une « histoire vide » : Discipline est un livre qui décontenance les corps, les ouvre, les vide et les redistribue. Leur procession se fait certes dans la douleur promise par le titre. Mais il y a au cœur du mot discipline la racine latine discere, apprendre. Contre l’oppression des êtres et l’idée d’un savoir absolu, l’écriture est discipline, apprentissage toujours recommencé, travail de la langue, doute renouvelé. « Il y a des corps plein les arbres – on le sait » : la discipline, c’est continuer à écrire en sachant cela, en sale connaissance de cause. Non pas le « je vais vous apprendre » du père fouettard, mais au contraire la poésie qui « nous apprend ». Nous, à la fois objet et destination, rêve et possibilité d’un corps sain.
Ici il y a de petits animaux
fourrageant et satisfaits
Peut-être est-ce comme ça que cela s'appelle
peut-être l'amour est-il un petit animal fourrageant
entièrement satisfait quand sa bouche ici
quand la fourmi et le soleil et la toison
C'est une drôle de vue
la lueur du soleil et de la toison et une bouche
affairée à la nature
une bouche affairée à se faire fleurir
une beauté à fleurir la bouche
Formes courtes, pudiques, presque modestes, les poèmes de John Freeman dessinent une cartographie intime qui laisse puissamment entrer le monde entre ses lignes. Et raconte un ici et maintenant où l'ici peut être un peu partout - Alger, Beyrouth, Damas, Oslo, Paris, Sarajevo ou les plis d'une Amérique sans gloire. Une poésie vivante et sonore, voyageuse et rapide, qui fait de nous ses fraternels contemporains et parcourt la planète - et le passé - comme les lignes de la main. S'exercent ici la capture des choses perdues, la domestication d'un chagrin indomptable, l'extension du domaine des souvenirs dans la tentative entraînante de rendre l'avenir possible.
le livre
à bout de bras
au-dessus de son visage
comme ligne d’horizon
comme carte d’un territoire
à décrypter en temps réel
le garçon lit
Ce garçon qui se déplace secrètement vers une autre dimension découvre les pouvoirs des mots. Quelques années plus tard, devenu écrivain, il mixe – à sa façon – scènes familiales et extraits de ses lectures, pour ouvrir son « livre du dedans » et révéler son parcours de lecteur.