Wolfheim, paisible bourgade aux confins de la Belgique, de l'Allemagne et des Pays-Bas, est agitée par le retour inattendu du docteur Hoppe, un enfant du pays parti depuis longtemps. La surprise est d'autant plus grande que le médecin emménage seul avec ses trois fils, des triplés qui partagent la même troublante difformité physique. Les rumeurs vont bon train, mais les compétences du docteur font taire les réticences des villageois. Pourtant, le mystère autour de sa descendance s'épaissit.
Jusqu'où peut-on repousser les limites de la vie ? Entre exploit scientifique et délire métaphysique, Stefan Brijs construit un suspense haletant et dérangeant, qui explore les dangers d'une science sans conscience.
Un coup de fil passé d'une cabine téléphonique sur le bord d'une route désertique de l'Ouest américain : comme chaque année depuis douze ans, Lester appelle la mère de Cate pour lui dire qu'elle est vivante, qu'elle va bien, qu'elle est toujours avec lui. Douze ans - toute une vie pour Cate, quinze ans - en marge de la société, de maisons abandonnées en chaussées glissantes, à former ce couple père-fille bricolé, à grandir en dehors de tout ce qui fait la vie normale d'une adolescente.
Cate, que Lester a enlevée dans un camping, un petit matin d'été, alors que ses parents dormaient à poings fermés. Une impulsion, un coup de folie qui a fait éclater une poignée de destins.
Mais aujourd'hui les choses sont allées trop loin, Cate a fait une grosse bêtise, et Lester, vagabond taiseux débordé par les dérapages de la jeune fille, veut la « rendre » à sa mère. Sauf que cette dernière, en deuil de son enfant depuis douze ans, n'est pas prête à croire si facilement au miracle.
Des hautes plaines du Nouveau-Mexique aux forêts profondes de Virginie, Ton sang ne saurait mentir raconte, par la voix inoubliable de Cate, l'orchestration maladroite de ces retrouvailles récalcitrantes. Car comment se reconnaître quand il aura fallu des preuves ? Comment s'accepter au-delà des instincts morts ? Comment se (faire) pardonner les doutes mutuels qui régissent les rapports entre ces deux étrangères liées par le sang et l'absence ?
Entre road movie et huis-clos, Ton sang ne saurait mentir est la mise à nu d'un bouleversant noeud de relations à réinventer, un roman haletant qui met les sentiments à l'épreuve et transforme l'apprentissage de l'amour en véritable suspense psychologique.
Au début des années 1970, Mary Whittaker et Bobby Desoto, un couple de jeunes militants en lutte contre la guerre du Viêtnam, se voient contraints de prendre la fuite après une action qui a mal tourné. L'un et l'autre doivent alors se forger une nouvelle identité et emprunter des chemins destinés à ne plus se croiser. Presque trente ans plus tard, sous le dernier des multiples noms qu'il lui a fallu endosser au cours de sa longue cavale, Mary vit dans une banlieue avec son fils de quinze ans, Jason. Fasciné par la culture musicale des sixties et des seventies, l'adolescent qui ignore tout du passé de sa mère se trouve précisément à l'âge où l'on veut en savoir davantage...
Dans un quartier éloigné de la ville, Nash, un libraire anarchiste, tente sans grand succès d'insuffler à la jeune génération altermondialiste les principes de base d'une idéologie révolutionnaire digne de ce nom, tandis que Henry, son ami et associé, qui, bien qu'également quinquagénaire, n'a renoncé ni à la consommation effrénée de bière ni au rite du « joint », a choisi de consacrer la vie qui lui reste à des croisades nocturnes aussi périlleuses que désespérées contre les panneaux publicitaires des temps nouveaux afin d'oublier le cauchemar récurrent d'une guerre qu'il n'a pas faite mais dont le hideux fantôme, hantant ses nuits, s'emploie à finir de le mettre en pièces...
Convoquant les images et la bande-son qui accompagnent deux époques que séparent leurs options en matière d'action politique mais que relie une forme de combat, Dana Spiotta écrit le roman symphonique d'une culture américaine passée en trente ans d'un idéalisme fervent au cynisme le plus affiché, brossant ainsi un subtil et puissant tableau du déclin de tous les radicalismes.
Tout dégoulinait à l'entour : l'étroit quai de bois, la balustrade, le banc, les branches des peupliers, nues et droites comme des épées, aux bourgeons gonflés sur le point d'éclore. Le train siffla de nouveau en prenant de la vitesse, la portière de fer claqua, les fenêtres tendues de stores défilèrent.
Roman marcha jusqu'à la balustrade et posa une main gantée de daim gris sur le bois dont la peinture s'écaillait...
Le roman de Vladimir Sorokine s'ouvre sur des pages marquées au coin de la grande littérature russe du XIXe siècle. Au fil du récit et de l'action, l'auteur revisite, tour à tour, Pouchkine, Tolstoï, Tourgueniev et bien d'autres. La Russie des profondeurs, intemporelle, apparaît riche, chaleureuse, drôle, émouvante, aimant le bon boire et le bien manger.
La maestria de Sorokine est ici éblouissante.
Mais imperceptiblement le tableau se déconstruit et emporte brutalement le héros vers un destin contemporain et un dénouement stupéfiant qui laisse le lecteur effaré.
Connu dans les milieux non-conformistes depuis la fin des années soixante-dix, Vladimir Sorokine devient un écrivain russe majeur après l'effondrement de l'Union soviétique. Ses romans, nouvelles, récits et pièces de théâtre sont de véritables événements, suscitant louanges, critiques acerbes, contestations, indignation. Écrit dans les années 1985-1989, Roman est un des chefs-d'oeuvre de l'auteur.
« La peur n'est pas une vision du monde. » C'est par ces mots qu'en 1933, Kurt von Hammerstein, chef d'état-major général de la Reichswehr, résolut de tourner le dos à l'Allemagne nouvelle, et à Hitler devenu chancelier. Issu d'une très ancienne lignée d'aristocrates prussiens, Hammerstein méprisa profondément l'hystérie funeste où s'engageait son pays. On voulut ignorer son avertissement, et c'est en vain que le général, de complots en dissidences, tenta de freiner le désastre. Jusqu'à sa mort en 1943, Hammerstein aura préservé son indépendance, raidi dans une intransigeance devenue héroïque. Ses sept enfants eurent eux aussi des destins singuliers, prenant parti, au fil de rencontres inattendues, pour la résistance intérieure.
Le livre du grand écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger n'est une biographie qu'en apparence. Car il s'agit d'« une histoire allemande », un récit tissant par mille moyens divers les destins individuels et le devenir collectif. Modeste devant la science historique, Enzensberger a choisi la liberté du narrateur : « même en dérapant à l'écart des faits, on peut fort bien parvenir à des vues justes ». Et lorsqu'il dialogue avec les morts, Enzensberger, en véritable sorcier, invoque les esprits.
À travers la multitude de ces vies qui se croisent, s'éveille le fantôme de la catastrophe allemande, révélant la décomposition de la république de Weimar, le passage de la vieille Prusse à l'ordre nouveau, la sournoise complicité de l'Allemagne avec l'Union soviétique, l'échec de la résistance, la folle association de l'idéologie la plus fanatique et du cynisme le plus froid.
C'est parce qu'il a un sens aigu de ce qu'est un destin qu'Enzensberger nous offre ici un grand livre.
2002. Doug Fanning, la trentaine rugissante, travaille comme trader pour une grande banque d'affaires de Boston. Responsable des opérations boursières à l'étranger, tout réussit à notre requin aux dents affûtées : succès, pouvoir, argent... Le ciel semble sa seule limite.
Le jeune loup vient même de se faire construire une superbe villa dans la petite ville de Finden, cette banlieue riche où tout le gratin de la finance - dont son patron - se retrouve après le travail. Pour Doug, fils d'une famille monoparentale sans le sou, la revanche sociale est douce.
Mais, bien sûr, rien n'est si facile : les opérations boursières que Doug mène en Asie sont illégales et leur financement incertain. Tant que la combine fonctionne, les grands patrons ferment les yeux. Mais Doug, sans le savoir - ou plutôt sans vouloir le savoir -, marche sur le fil du rasoir.
À Finden, la vie non plus n'a rien d'une sinécure : sa maison nouvellement construite a été bâtie sur un terrain inconstructible légué des décennies plus tôt par un riche propriétaire terrien à la communauté urbaine. La petite-fille de ce dernier, la vieille Charlotte Graves, ancienne professeur d'histoire, est bien décidée à faire appliquer la loi et traduit Doug en justice...
En cette première décennie du XXIe siècle, L'intrusion dresse un portrait profondément marquant de l'âge d'or moderne. Pleine d'esprit et d'imagination, cette fiction singulière et complexe est irrésistible.
Littératures réunit l'ensemble des conférences données par Vladimir Nabokov entre 1941 et 1958 dans plusieurs universités américaines où il enseignait la littérature européenne. On y trouve, outre deux essais, «Bons lecteurs et bons écrivains» et «L'art de la littérature et du bon sens», des réflexions et analyses originales et percutantes consacrées aux oeuvres de Jane Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce, ainsi qu'à celles de ses compatriotes russes Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov et Gorki. Ce volume propose enfin une longue étude, tout aussi iconoclaste, du Don Quichotte de Cervantès.
Balayant la plupart des idées admises concernant ces chefs-d'oeuvre, Nabokov affirme avec superbe, humour et ironie sa propre conception de la littérature : rejet des approches historique, sociologique ou psychologique (Freud, le «charlatan viennois», est constamment la cible de ses sarcasmes), suprématie de la structure, du style, du détail et de l'agencement des détails entre eux. «Caressez les détails, les divins détails», tonitrue-t-il de sa chaire. Et encore : «La littérature est invention. La fiction est fiction. Appeler une histoire 'histoire vraie', c'est faire injure à la fois à l'art et à la vérité. Tout grand écrivain est un grand illusionniste.»
Préfacière de la présente édition, Cécile Guilbert écrit : «Ce que Nabokov dispense a priori avec largesse à ses étudiants ? Pas moins que la crème de la littérature, les moyens critiques de la reconnaître et d'en jouir. Un don au sens du 'talent' comme de l''offrande', généreux et forcément aristocratique.»
«Ma mère était un peu cinglée. Je venais d'entrer à l'école primaire lorsqu'elle s'est vengée.» - Murat Uyurkulak
Tol est l'histoire d'une vengeance. C'est aussi une étrange odyssée d'Istanbul jusqu'à Paris, Londres ou Rome.
En pleine nuit, le pays est réveillé par une violente explosion. D'Istanbul à Diyarbakir en terre kurde, un train roule dans la steppe immense.
À son bord, Yusuf, suspect aux yeux d'un pouvoir totalitaire, laisse encore une fois une ville derrière lui. Face à lui, Sair, le Poète. Un terrible secret les lie à jamais.
Avec Tol, c'est la soif d'une utopie folle et l'urgence d'une révolution que Murat Uyurkulak nous livre, dans un cri singulier où résonnent au loin les voix de Nâzim Hikmet, de Che Guevara ou de Rosa Luxemburg.
Ruth Klüger nous avait livré le récit de sa jeunesse dans Refus de témoigner (Éd. V.H., Prix Mémoire de la Shoah 1998). Déportée à onze ans, échappée miraculeusement d'Auschwitz, elle s'exilait à seize ans aux États-Unis.
Dans Perdu en chemin, on la découvre, adulte, confrontée au quotidien des années 50. Elle sera de celles qui se battront sans répit pour obtenir ce qui paraît le minimum : la dignité, le respect, la simple reconnaissance de soi. Sa vie est « banale », mariage, maternité, divorce. Mais elle écrit : « Quand ce fut fini, j'eus l'impression de sortir du freezer pour enfin décongeler. »
Devenue une germaniste réputée, elle est invitée en Europe, donne des conférences en Allemagne, est nommée Docteur honoris causa de l'université de Göttingen. Pourtant, elle poursuit le débat avec elle-même : quels sont les mécanismes de la mémoire individuelle et collective vis-à-vis des horreurs du passé, de leurs victimes, auteurs et témoins ?
Le fil du récit est la discrimination constante et intimement ressentie, mais aussi celui d'une double émancipation : celle d'une Juive et celle d'une femme.
Prosaïques à dessein, certaines pages fascinent par l'exactitude des sentiments exprimés ; constat et accusation s'interpénètrent. Ce qui semble d'une susceptibilité excessive émeut l'instant d'après par une lumineuse exigence d'équité.
Et l'on est submergé par la sincérité généreuse de cette femme à l'intelligence souveraine.
« Dès son titre, le livre annonce les pertes de cette vie. Ce qu'elle n'a pas perdu en chemin, c'est la conviction que rien n'est plus évident que de défendre ses droits. C'est en cela que réside le triomphe de Ruth Klüger. » Frankfurter Allgemeine Zeitung
« Et c'est alors que m'est venue à l'esprit, les devançant tous, la femme de Zante, qui s'évertue à nuire à autrui en paroles et en actes.
Et, cherchant à voir si, dans cette âme où bouillonnait toute la mauvaiseté de Satan, le désir d'un bien, aussi minime fût-il, s'était jamais manifesté, j'ai, après avoir longuement réfléchi, levé la tête et les mains vers le ciel et je me suis écrié : ' Mon Dieu, mais cela revient à chercher une fleur de sel dans de l'eau bouillante. '
Et j'ai vu au-dessus de moi briller toutes les étoiles, et j'ai reconnu la constellation d'Orion en soc de charrue, ce qui m'a mis en liesse.
Et je me suis empressé de reprendre la route vers la chapelle de Saint-Lypios, car je me suis rendu compte que je m'étais attardé ; et j'avais hâte d'être sur place pour décrire la femme de Zante... »
Dionysios Solomos, La Femme de Zante, 1826-1833.