Il y a des blaireaux écrasés, des agneaux qui naissent la tête tranchée, des saumons monstres tapis au fond de lacs écossais opaques, qu'on ferre et qui résistent de toute leur puissance vitale. Il y a des faucons, des brochets, des renards nocturnes, bref toute une galerie de prédateurs sur lesquels règne, cynique et dérisoire, un corbeau mythique du nom de Crow. Ted Hughes n'est pas qu'un poète animalier, comme on a trop vite cru. C'est un explorateur de la cruauté qui est au fond de l'être vivant, bête ou homme. Une espèce de poète darwinien moderne ayant croisé les chemins de la fable celtique ancienne. L'héritier de Yeats l'Irlandais mais aussi du guerrier de la Somme Wilfrid Owen, essayant d'articuler ensemble la beauté, la terreur et la pitié. J. D.
Angela Sanmann est une des remarquables voix émergeantes dans la jeune, et foisonnante, poésie allemande contemporaine. Sa poésie, bien qu'étant impliquée essentiellement dans l'univers urbain, souvent dur, confrontée à l'histoire, aux histoires, d'une ville comme Berlin notamment, reste toujours élégante, elle questionne et elle respire. Le regard de la poétesse sur la ville est impitoyablement juste et sans complaisance, mais sans jamais cependant céder en grâce dans ses visions détaillées ; qu'il s'agisse de Berlin, qu'elle a choisi comme ville d'adoption, ou de Paris, Lyon, Nantes, Leipzig ou encore Bruxelles, destinations de ses nombreux voyages et de ses recherches poétiques. Outre la confrontation lyrique avec la ville, Angela Sanmann écrit de courts poèmes - un vrai défi, la forme courte - d'ordre plus personnel, surgissant du quotidien immédiat, poèmes d'une douceur froide pourrait-on dire, qui offrent des aspects du sentiment amoureux, de la solitude aussi, ainsi que du spectre des souvenirs. Rares sont les voix dans la poésie aujourd'hui qui, avec une telle cohérence, sondent et lient les convulsions de nos villes à l'intime.
Robert Creeley est né en 1926. Il a vécu toute sa vie aux États-Unis. Il enseigna dans diverses universités dont longtemps à Buffalo, NY. Il est mort le 30 mars 2005.
Ce recueil traduit une poétique du lieu et de la durée, une dialectique spatio-temporelle des pronoms ainsi qu'une autobiographie sérialisée des situations et des relations.
quelque chose s'est fait entendre, on ne sait pas trop quoi mais on essaie d'écouter, envers et contre tout, et par tous les moyens
de cet événement sonore, sonnant dans l'oreille interne, ceci est la partition, offerte pour une écoute à tenter en temps réel
série d'oyances et d'épisodes, insistantes questions, parcours semé d'embûches et d'entourloupes, menant, fatalités, à l'abasourdissement, après de grands chambardements
Si Sôseki le romancier est de longue date traduit et commenté chez nous, une part plus secrète et à la fois plus familière de son oeuvre nous est encore inconnue. Sôseki a écrit plus de 2500 haikus, de sa jeunesse aux dernières années de sa vie : moments de grâce, libérés de l'étouffante pression de la vie réelle, où l'esprit fait halte au seuil d'un poème, dans une intense plénitude.
«Affranchis de la question de leur qualité littéraire, ils ont à mes yeux une valeur inestimable, puisqu'ils sont pour moi le souvenir de la paix de mon coeur... Simplement, je serais heureux si les sentiments qui m'habitaient alors et me faisaient vivre résonnaient, avec le moins de décalage possible, dans le coeur du lecteur.»
Ce livre propose un choix de 135 haikus, illustrés de peintures et calligraphies de l'auteur, précédés d'une préface par l'éditeur de ses OEuvres complètes au Japon.
Cette anthologie bilingue fait découvrir les haïjins, des poétesses classiques et contemporaines qui ont voué leur plume lumineuse à l'art du haïku. Cette pratique poétique possède ses maîtres de renom, tels Basho, Buson, Issa ou encore Shiki, mais ils ne furent pas les seuls à marquer de leur empreinte l'histoire de la poésie japonaise. Les voix féminines réunies ici viennent offrir au haïku une nouvelle richesse, empreinte d'une sensibilité exceptionnelle.
En 1909, à Berlin, alors que ses romans valent à Robert Walser un début de gloire, son éditeur Bruno Cassirer fait paraître un recueil de poèmes illustrés d'eaux-fortes du peintre Karl Walser, frère de l'auteur. Ces poèmes, écrits dix ans auparavant, sont pour certains les premiers textes de Walser à avoir été publiés, en 1898, dans les pages du quotidien bernois Der Bund.
Première dans l'oeuvre, cette poésie d'un jeune homme de vingt ans a déjà l'intensité musicale, l'inimitable tonalité de ferveur douloureuse et espiègle qui caractérise Walser. Cent ans après leur publication, il était temps de donner à lire ces poèmes au lecteur de langue française, dans une édition bilingue.
« L'un de mes principaux devoirs, en tant qu'écrivain, consiste à parler de ce qui se trouve directement sous mes yeux, ou par-dessus mon épaule. (...) Je considère qu'un poème est un monde en petit. Je m'intéresse beaucoup au fil narratif, à l'histoire, au point de souhaiter écrire des romans dans le poème. J'aime à penser que c'est toute la société qui alimente les vers du poème et se reflète en eux, que chaque détail est exact. Et je m'intéresse au caractère dramatique des personnages. J'aime me servir de personnages pour présenter des visions différentes du monde. (...) Malgré toutes les simplifications du monde - et une oeuvre d'art est une simplification de par son processus de sélection, la réduction continuelle des variables de la signification possible des choses - ce processus de simplification ne doit pas devenir simpliste. Nous savons tous que si nous essayons d'épingler une chose elle peut arracher l'épingle et prendre le large, et cela explique peut être mon côté rusé désabusé. Le poème peut se permettre un peu de fiction pendant trente secondes : il m'a ému ; avec un peu de chance il vous émouvra, vous dérangera et vous réjouira ; cela dit et accompli, chacun s'en retourne vers le bourbier par son propre chemin. » Paul Muldoon
«Ô Princes, sachez-le bien, / Sachez-le, Aigles et Jaguars, / Le jade et même l'or / Aussi là-bas s'en iront, / Là-bas, où-sont-les-Décharnés... / Nous partirons, peu à peu nous disparaîtrons, / Il ne restera rien...» Les Chants de Nezahualcoyotl expriment la tristesse de tout un peuple, d'une civilisation splendide à son apogée qui se sent condamnée à disparaître. «À peine cinquante ans après que ces chants furent prononcés, note J. M. G. Le Clézio, tandis que les musiciens frappaient sur leurs tambours et soufflaient dans leurs buccins, et que les danseurs emplumés tournaient dans la cour du palais, la mort et la destruction sont venues de l'autre côté du monde.»
On pourrait faire un parallèle entre les Psaumes du roi David et ces Chants du roi Nezahualcoyotl, poèmes de plainte et de désolation. L'un et l'autre voient leur fils périr d'une mort cruelle. Et tous deux élèvent leur plainte vers Dieu : YHWH - le dieu un qui protège et sauve - ou «Celui-par-qui-vivent-toutes-choses», «le-Dieu-de-l'immédiat-voisinage», le dieu inconnu à qui Nezahualcoyotl fait ériger un temple. «Ainsi les choses nous sont-elles confiées, / Ici, Ô mes amis, / Seulement ici, dans ce monde. // Demain, après-demain, / Comme le veut le coeur / De Celui par-qui-vivent-toutes-choses, / Nous irons dans sa maison, / Ô mes amis.»
Après avoir écouté un Chant de Nezahualcoyotl, le philosophe Ludwig Wittgenstein confiait à l'un de ses proches : «Voilà pourquoi tout cela est remarquable, c'est ce à quoi Platon rêvait - qu'un philosophe fût roi. Il me semble que dans toute culture on trouve un épisode intitulé Sagesse. Après on peut s'attendre à ce qui suit : Vanité des vanités, tout est vanité.»