Textes germés de la scène, nés des planches, il y est question de tout ce qui fait la mort frangine et la vie coquine : les putains sans dents et les nuits sans lune, les christs à la trique et les zombies en troupes ; on y parle sacrilège et derniers verres, petites morts et grandes douleurs ; on y voit passer des marins à l'haleine de noyés et des avorteurs mélancoliques, des clowns cannibales et des monstres tricotés d'infamies.
Les picotements que me procuraient
les languettes de cuivre
des piles usagées
c'est eux
page après page
que je cherche à retrouver
au contact d'un verbe qui,
à lui seul,
peut court-circuiter
la différence des opposés.
Philippe Denis, Petits traités d'aphasie lyrique « alla breve », 7.
René Char, comme aucun autre poète au XXe siècle, a mené avec les peintres une exploration commune. Avec Lettera amorosa, Poésie/Gallimard a déjà porté témoignage de ce mouvement
unique, maîtrisé, de création à deux. Avec L’Effilage du sac de jute, c’est une semblable alchimie qui est à l’oeuvre. Ce que souligne très précisément Dominique de Villepin dans sa préface : « Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir. Acte et surgissement dont
témoigne cette oeuvre qui s’offre ici à nos mains. Prenons l’affirmation de René Char à la lettre. Ici, il n’y a pas d’un côté des poèmes, de l’autre des peintures. Il y a un poème. Un désir commun et partagé, une amitié d’esprit qui se serait, comme par accident, déposée sur ces pages. Il n’y a rien d’éparpillé, il n’y a pas d’encres coulées et bues par le papier épais. Il n’y a pas de créations en regard. Il n’y a qu’une seule chimère de formes et de sens agglomérés qu’il convient non de regarder, ni même de contempler, mais d’accueillir. Son être en effet l’attend. Dans la rencontre d’un autre désir demeuré désir, que le lecteur lui porte d’un oeil rond. Ici, le désir de peinture d’un poète a rencontré le désir de poème d’un peintre. Zao Wou-Ki et René Char s’y entretiennent. L’un et l’autre ont exprimé souvent ces quêtes complémentaires, René Char avec Georges Braque, avec Joan Miró, avec Giacometti, avec Vieira da Silva et Zao Wou-Ki avec Henri Michaux, avec Yves Bonnefoy, avec Roger Caillois, exemples parmi tant d’autres. Des étincelles splendides se sont constellées dès avant cette brassée de tisons éclatants ».
« Pendant la lueur qui précède la chute du sommeil, je déchiffre le mur.
Tout s'aligne en filigrane, comme dans les dessins de Giacometti. L'ombre noueuse d'un arbre qui se ramifie, sous les moulures, la barre d'un verrou énorme coupant les croisées noires, portant des agrès, des cordages, remuant dans le flot qui baisse chaque fois qu'une fenêtre opposée s'éteint. La noirceur de tous les ustensiles nocturnes par contre s'accentue. Le verre accroche des lueurs. Tous les éléments du jour vus dans leur silence, leur calme diaphane. Sans ce fourmillement strident. » André du Bouchet-CatiLer noir, octobre 1951.
Ce livre reproduit une grande part des carnets que le poète André du Bouchet tint presque quotidiennement entre 1949 et 1955. Après les années de formation intellectuelle et d'exil que furent celles de sa vie aux États-Unis, du Bouchet découvre, au cours de cette période d'intense création poétique, dans la proximité de Ponge et de Reverdy, ce qui deviendra sa propre voix.
Le choix que nous proposons parmi ses premiers carnets fait écho au volume réunissant ses essais sur la poésie écrits dans les mêmes années, que nous publions sous le titre Aveuglante ou banale.
« Chaque poème est une écorce arrachée qui met les sens à vif. Le poème a rompu cette taie, ce mur, qui atrophie les sens. On peut alors saisir un instant la terre, la réalité. Puis la plaie vive se cicatrise. Tout redevient sourd, aveugle, muet. » André du Bouchet, Cahier de 1951.
Ce livre recueille, dans leur version d'origine, tous les essais sur la poésie publiés par André du Bouchet entre 1949 et 1959, et de nombreuses pages inédites, le plus souvent écrites ou ébauchées dans le cadre du C.N.R.S. où le poète fut chercheur entre 1954 et 1957.
Dans ces essais consacrés à Scève, Hugo, Baudelaire, mais aussi à des poètes contemporains (Reverdy, Char, Ponge) ou étrangers (Hölderlin, Joyce, Pasternak), le jeune du Bouchet se livre éperdument à la poésie, pour en proposer, chaque fois, une lecture extrêmement profonde et personnelle. Avec les Carnets que nous publions parallèlement, ces pages éclairent toute son oeuvre ultérieure.
« Comment, vous ne connaissez pas ? Ce n'est pas possible ! Un des plus remarquables poètes d'aujourd'hui ! » s'était exclamé Paul Éluard à propos de Marcel Thiry (1897-1977). La présente anthologie réunit plus de cent cinquante poèmes choisis parmi les dix-huit recueils qui composent une oeuvre d'une étonnante virtuosité prosodique construite à l'écart des grands courants poétiques de son temps. Tour à tour, ils mettent en lumière l'expérience du jeune soldat faisant le tour du monde malgré lui, le goût du voyage et le plaisir toujours intact de se perdre dans des villes étrangères, la célébration de l'amour de manière parfois très érotique, la conjugaison souvent pleine d'humour entre l'homme d'affaires, l'entrepreneur et le rêveur.
Conçu comme un livre synecdotique, ce recueil paru en 1942 et jamais traduit en français est habité par le thème de la guerre entre les nations, entre les éléments, ou entre l'être et la conscience.
Chaque fois que je viens sur la hauteur du Cap Blanc-Nez, par temps clair et dégagé, je suis saisi du même frisson devant l’étendue des vagues qui cavalent jusqu’au mur de craie blanche au loin. Vertige du Temps ! Ici se chevauchent et s’intensifient toutes les coupures, mon bref segment de vie, les six millénaires d’irruption marine qui ont fait de cette vallée nommée Doggerland par les géologues un fossé large de trente-cinq kilomètres, la fracture entre langues anglo-saxonnes, celtes et romanes, l’interminable suite de liens et scissions dans l’Histoire de l’Occident. Debout à la verticale des craies fragmentée par l’érosion de l’eau c’est le bruit palpable du Temps lui-même que j’entends, corps d’écume et de vents. N’est-il pas nouveau que notre Mémoire s’approfondisse aux fosses de l’archéologie (St. Acheul, Chauvet, Lascaux), s’accroisse d’effondrements cosmiques (Storregas, Tsunamis) ? Et si c’était à l’horloge des irruptions marines que nous allions devoir calculer notre âge désormais ? Ici, à Blanc-Nez, promontoire miniature, je recommence d’aller cueillir la fleur ancienne «Sagesse des sommets». Tailler de minimes marches d’arrêt dans le Temps requiert le sens des pentes, de l’étalement des plans. Exercices de souffle suspendu, aujourd’hui, au-dessus du chenal, du Channel! J. D.
Première revue marocaine consacrée à la poésie internationale
Faire vivre ensemble et amoureusement des textes d'hommes et de femmes venant de divers horizons et partageant le même rapport à la réalité, à la langue et au village-monde. Edito.
Les filles de quartier
se jettent des nuages la sangle à la main.
Leur sourire ne s'ouvre pas.
Ce serait comme un hymen recousu
par la générosité des violeurs
Linda Maria Baros (Roumanie)
Rends-toi, petite île
Laisse tomber tes réfugiés, tes chères chétives
Accepte l'ordre
Arrache ton persil
Et accueille les cavaliers bindés.
Volker Braun (Allemagne)
Le rêve arabe s'endort
Le muezzin efface
La nuit
Tandis que fume le dernier
Cercle du soleil.
Michel Bulteau (France)
Chaque jour on ne peut éviter le coup de feu du temps,
Ce tireur embusqué !
Shu Cai (Chine)
Allez radoter ailleurs, rimes d'un centime,
trembler ailleurs pour douze lecteurs
et un critique ronfleur
Hugo Claus (Belgique)
Un enfant court bravement derrière son enfance
Rêvant du monde venu se déposer entre ses mains
Et du ciel comme plumage à ses ailes.
Ouafaa Lamrani (Maroc)
J'entends les oiseaux aux pieds peints psalmodier les airs
du ravissement, les murs ouvrant larges leurs fissures, enmmagasinant
les reflets du miroir.
Mohamed Loakira (Maroc)
Les Croates me tapent sur les nerfs
Ce n'est pas étonnant : je les fréquente
Depuis trente-huit ans déjà.
Boris Maruna (Croatie)
Au lieu de lèvres féminines,
ils laissent
l'étoile à cinq branches imprimer
sur nos fronts moites
son rouge où a coagulé le sang des héros.
Senadin Musabegovic (Bosnie-Herzégovine)
Je n'ai rien d'autre à espérer :
un crépuscule d'hiver
et un corbeau amoureux de moi.
Grânaz Moussavi (Iran)
- Te souviens-tu de la copiste ? Celle qui renversa de l'encre
sur ta robe ?
- Non.
Mercedes Roffé (Argentine)
'C'était au Maroc à la campagne...'
Mustafa Stitou (Pays-Bas)
Aveugles, les imbéciles refusent
De se couper la barbe,
Ceux qui me pointent du doigt.
Serge Patrice Thibodeau (Canada)
Le matin du 24 septembre 1966
j'ai écrit une lettre à un ami proche
sur le péché originel
sur le crime parfait et la méthode d'extermination du savoir.
Gozô Yoshimasu (Japon)
Présentation de l'éditeur
Tantôt ténue, délicate, à l´image des tapisseries traditionnelles, tantôt vociférante et éclatée, tel un oued en crue, la poésie algérienne a accompagné les douleurs et annoncé les orages historiques. Cette anthologie de poètes contemporains veut faire entendre les cris engagés des poètes de la résistance comme ceux de leurs héritiers qui ont fait de la langue française, ce ' tribut de guerre ', l'outil d'un dialogue entre les deux rives de la Méditerranée.