Dans un monde où les images prolifèrent en tous sens et où leurs valeurs d'usage nous laissent si souvent désorientés - entre la propagande la plus vulgaire et l'ésotérisme le plus inapprochable, entre une fonction d'écran et la possibilité même de déchirer cet écran -, il semble nécessaire de revisiter certaines pratiques où l'acte d'image a véritablement pu rimer avec l'activité critique et le travail de la pensée. On voudrait s'interroger, en somme, sur les conditions d'une possible politique de l'imagination.
Cet essai, le premier d'une série intitulée L'Oeil de l'histoire, tente d'analyser les procédures concrètes et les choix théoriques inhérents à la réflexion de Bertolt Brecht sur la guerre, réflexion menée entre 1933 et 1955 par un poète exilé, errant, constamment soucieux de comprendre une histoire dont il aura, jusqu'à un certain point, subi la terreur. Dans son Journal de travail comme dans son étrange atlas d'images intitulé ABC de la guerre, Brecht a découpé, collé, remonté et commenté un grand nombre de documents visuels ou de reportages photographiques ayant trait à la Seconde Guerre mondiale. On découvrira comment cette connaissance par les montages fait office d'alternative au savoir historique standard, révélant dans sa composition poétique - qui est aussi décomposition, tout montage étant d'abord le démontage d'une forme antérieure - un grand nombre de motifs inaperçus, de symptômes, de relations transversales aux événements. On découvrira ainsi, dans ces montages brechtiens, un lieu de croisement exemplaire de l'exigence historique, de l'engagement politique et de la dimension esthétique.
On verra enfin comment Walter Benjamin - qui a été, en son temps, le meilleur commentateur de Brecht - déplace subtilement les prises de parti de son ami dramaturge pour nous enseigner comment les images peuvent se construire en prises de position.
En dépit de ses dénégations, le claveciniste et chef d'orchestre Gustav Leonhardt est plus qu'un simple exécutant, et plus qu'un interprète, ce qui est déjà moins simple. Il a fait entrer dans l'art de jouer la musique une qualité qu'on ne reconnaissait qu'aux créateurs, et qui chez lui se fait vertu cardinale : l'élégance. Ce n'est pas tout : alors que l'esprit du baroque s'était perdu dans le romantisme et l'artistiquement correct, et que le fil susceptible de nous relier aux anciennes pratiques était rompu, il a su, par la culture, l'exigence intellectuelle et la sensibilité, retrouver toute une époque et toute une esthétique ; ranimer ce que l'académisme avait tué ; fonder tout de nouveau une tradition - comme si cet artiste, né en 1928, était jeune de trois siècles.
Un portrait enrichi d'entretiens, une analyse, un fonds biographique, un essai. Tel est ce livre, le premier jamais consacré à l'un des musiciens véritablement exemplaires d'aujourd'hui.
Le 3 janvier 1988, Marc Ysaye eut cette idée outrageante et impensable jusque-là de balancer, par un beau dimanche matin et à l'heure de la messe s'il vous plaît, Led Zeppelin, Deep Purple, Yes, Black Sabbath ou encore Genesis. Résultat : la plus forte audience de Radio 21 et depuis 2004 de Classic 21. L'émission culte par excellence, incarnée et présentée par Marc Ysaye, est toujours bien là aujourd'hui, plus que jamais, après 21 années passées à faire partager avec le plus grand nombre une passion restée intacte pour les oeuvres qui ont été produites en gros entre 1965 et 1980.
Les Classiques de Marc Ysaye. 21 ans de passion, c'est l'histoire de ces 21 ans où le maître mot sera donc bien «passion». Il évoque le cheminement intellectuel et le vécu de l'auteur depuis bien avant la genèse de l'émission : tout commence lorsque son grand-père Antoine Ysaye, éditeur de musique classique, lui offre des disques de rock'n'roll qu'il vient de recevoir des États-Unis. Plutôt que de les jeter, il les donne à son petit-fils Marc. Nous sommes en 1965, Marc Ysaye a onze ans et ce sera un choc, la découverte du rock'n'roll auquel bien évidemment son grand-père Antoine n'entend pas grand-chose.
Ce livre rappelle également l'aventure extraordinaire de Machiavel, dont Marc Ysaye raconte toute l'histoire, et retrace l'incroyable engouement que l'émission a suscité. Elle a véritablement marqué l'esprit de plusieurs générations et, aujourd'hui encore, cette «grand-messe du dimanche matin» n'a pas fini de faire exploser l'audimat.
Gus van Sant a profondément transformé notre regard sur la jeunesse américaine. En 2003, le jury du festival de Cannes, bouleversé par la transposition de la fusillade du lycée de Columbine qu'il livre avec Elephant, lui décerne la Palme d'or. Son parcours est fait de métamorphoses successives, des quartiers populaires de Portland, «sa» ville, filmée d'abord en noir et blanc dans Mala Noche jusqu'au San Francisco des années 70, reconstitué pour faire revivre la lutte de Harvey Milk pour les droits des homosexuels.
A la fin des années 80, il représente le jeune auteur indépendant par excellence avec Drugstore Cowboy, My Own Private Idaho, Even Cowgirls Get the Blues. Son univers peuplé d'une nouvelle génération d'acteurs (Matt Dillon, River Phoenix, Keanu Reeves...) affirme son identité homosexuelle et mêle les influences du western classique, de la culture «beat», de la peinture hyperréaliste et des écoles contemporaines de la photographie américaine. Au milieu des années 90, l'auteur se mue en artisan des studios avec Will Hunting et A la recherche de Forrester. Psycho marque le tournant qui le conduit vers Gerry, Elephant, Last Days et Paranoid Park et le statut d'un artiste protéiforme au moment où l'on découvre qu'il peint, photographie, compose et interprète...
L'oeuvre de Gus van Sant est à la fois neuve et prise dans le mouvement d'une génération. Chacune de ses périodes place le cinéaste au meilleur poste d'observation, dans l'oeil du cyclone, à partir duquel il ressent et donne à voir les contours du temps présent.
Le Siècle du jazz est une expostion ambitieuse et captivante, fruit de la collaboration dynamique d'institutions culturelles internationales prestigieuses. Le projet, conduit avec passion et enthousiasme par Daniel Soutif, commissaire de l'exposition, a su fédérer l'action de trois institutions européennes attentives aux expressions les plus vivantes et les plus inédites de la culture internationale, le Museo de Arte Moderna e Contemporanea di Trento e Rovereto, le musée du quai Branly de Paris et le Centre de Cultura Contemporania de Barcelona. Par son approche interdisciplinaire, l'exposition marque une étape importante dans l'étude des aventures artistiques du siècle dernier. Le rapport entre les arts visuels et la diffusion - parfois révolutionnaire et sans doute évident - de la musique de jazz est significatif, tant chacun de ces deux domaines de la créativité humaine projette un éclairage nouveau sur l'autre. Cette manifestation renouvelle la compréhension des phénomènes socioculturels du XXe siècle, pri dans toute leur complexité, et témoigne d'un art qui, loin de se cantonner aux musées, se nourrit chaque jour des sollicitations de la vie urbaine contemporaine.
Le Siécle du jazz est donc une occasion unique d'apprécier des oeuvres et des témoignages enracinés dans un vécu culturel commun à l'Amérique et à l'Europe, permettant de découvrir et de discerner des expériences issues d'environnements différents, et s'intégrant dans le contexte de chaque nation. Notre souhait le plus cher est de transmettre ce message de collaboration à un large public, dépassant non seulement les frontières artistiques nationales, mais aussi celles traditionnellement établies entre les disciplines.
Franco Bernabè
Président du Museo di Arte Moderna e Contemporanea di Trento e Rovereto
Stéphane Martin
Président du musée du quai Branly de Paris
Josep Ramoneda
Directeur du Centre de Cultura Contemporania de Barcelona
De Marina Abramovic à Chen Zhen en passant par Jamel Debbouze, Zaha Hadid, Marylin Manson et Agnès Varda , tous sont interviewés avec talent et intelligence par Hans Ulrich Obrist absolument maître du genre. Essentiel.
Recueil de 79 entretiens entre H. U. Obrist, conservateur et critique d'art, et des artistes, des architectes, des musiciens, des philosophes, des photographes et des cinéastes. Ces échanges d'idées dessinent une histoire de l'art et de la culture aux XXe et XXIe siècles.
Au fond, je ne parle jamais de musique. Je fais toujours un détour autour et alentour. Alors, j'invente des systèmes, sans jamais créer de corpus théorique ni même jamais m'inquiéter de la moindre cohérence entre eux. La question de la cohérence et même celle de la cohésion des systèmes est pour moi un sujet flou, et je greffe des petites machines à greffer d'autres greffes. Je dis toujours une chose pour une autre, parce que ce que je cherche, c'est «ça» : comprendre ce que je fais et quelquefois savoir n'y rien comprendre. Car je veux toucher ce qui traverse. Jamais je n'évite.
Apprendre, ce n'est pas seulement acquérir une maîtrise. Apprendre, c'est devenir un autre. Un autre, libre et souverain.
La difficulté fut de métamorphoser mon désir en une expérience. Pascal Dusapin
Pour la première fois, un ouvrage dévoile les liaisons dangereuses entre l'industrie du cinéma américain et la Mafia.
Dès la Prohibition, les gangs rackettent aussi bien les exploitants de salles que les studios. Après une résistance toute symbolique, les grands Moguls accueillent à bras ouverts les Al Capone, Lucky Luciano ou plus tard Sam Giancana dans la jet set hollywoodienne. Ainsi débute une fascination réciproque, qui va influencer le film « mafieux » nourri aux meilleures sources, de Scarface au Parrain.
De Joe Kennedy, le père de JFK, amant de Gloria Swanson et propriétaire du studio RKO, aux stars du grand écran, ce livre révèle les amitiés des « parrains », parfois aventurés dans la production. On y apprend bien des « secrets de famille », tels que le meurtre par Lana Turner de son gangster d'amant ou le financement par une famille mafieuse du premier grand succès du porno, Gorge profonde...
On croisera ici des acteurs dont la carrière a été soutenue par la Mafia : Frank Sinatra, Dean Martin ou Steven Seagal. Mais aussi des stars mêlées, malgré elles, à des agissements frauduleux, comme Kim Novak, maîtresse de Sammy Davis Jr, ou Marilyn Monroe surveillée par le FBI.
Dans les années 1970 et 1980, plusieurs studios comme Warner ou Universal continuent à entretenir des liens avec la Mafia. Et, dans les années 1990, le financier Giancarlo Parretti rachète la MGM avec des fonds d'origine mafieuse et l'aide du Crédit lyonnais...
Désormais plus discrète, la Mafia reste cinéphile !
Royaume de l'artifice est le premier livre à proposer une histoire culturelle du kitsch, phénomène esthétique immensément populaire qui a toujours été dédaigné comme « de mauvais goût » ou relevant d'une imitation à bon marché de l'art. En soutenant, au contraire, que le kitsch est le produit d'une plus grande sensibilité à la perte, l'auteur montre comment il permet la re-création d'expériences qui n'existent que comme souvenirs ou fantasmes.
En démontant et célébrant tour à tour ce processus, Céleste Olalquiaga nous offre une analyse hardie et percutante de ce que nous voyons et ce que nous entendons en matière de kitsch.
Retraçant ses débuts au XIXe siècle, Olalquiaga avance que l'industrialisation ajouta à la nature un « quatrième règne », celui de l'artifice, et elle décrit l'atmosphère à la fois mélancolique et exaltée dans laquelle le kitsch apparut.
En rehaussant l'approche théorique d'anecdotes, elle examine les objets à la fois à partir du passé et du présent, sondant les frontières fluctuantes entre fantasme et réalité, et découvre dans le kitsch un phénomène de notre époque autant que de celle qui en avait fait une expérience de masse.
Le livre de Michel Bulteau n'est pas un livre de plus sur Andy Warhol. Il y suit au plus près l'évolution de la peinture du créateur du pop art. Celui qui passait son temps à dire qu'il ne peignait plus, a laissé une oeuvre colossale - des premières Marilyn jusqu'à son interprétation pop de La Cène de Léonard de Vinci - d'une grande audace artistique. Michel Bulteau, qui a fréquenté Warhol de 1976 à 1978, s'est lancé à la recherche d'un peintre qui avait fait de sa vie une oeuvre d'art. C'est aussi la réhabilitation d'un artiste qui a été trop souvent mal compris et en a souffert. « Il faudra que je meure pour que le Musée d'art moderne reconnaisse mon oeuvre », avait coutume de répéter Warhol. Ce fut ce qui arriva.