«Mes tympans se sont mis à siffler, mon cerveau à bouillir, je ne parvenais plus à penser qu’à une seule chose, qui ne me servait strictement à rien à cet instant. Je me suis souvenue de ce que m’avait dit le commissaire de police qui recueillait ma plainte. Il m'avait posé une question qui m’avait plongée dans la confusion la plus grande. J’avais répondu – on répond toujours à un commissaire – quelque chose que je dirai peut-être un jour. Il m’avait dit alors que je devais le taire, que cela resterait entre lui et moi, car si je le disais, cela me desservirait au tribunal.
Allais-je donc passer au tribunal?
Je ne comprenais pas.
Le criminel c’était l'autre, non?
Ou moi?»
D’un monologue guidé par l’étrange beauté d’un rêve, émerge le souvenir de faits qui eurent lieu sans autre témoin que l’air.
L’air conserve la mémoire de toutes les histoires que les humains se racontent depuis la nuit des temps.
Le viol est l’une des plus anciennes. Et des plus actuelles.
Par une nuit sans lune, un écrivain fit un songe. Il rêva qu'il se réveillait en sursaut et, sous l'effet d'une modification physique inattendue, s'en allait rédiger les souvenirs d'un voyage auquel il n'avait jamais participé.
Un voyage au cours duquel Frédéric Verratti, alter ego de l'écrivain, rencontre de mystérieux personnages. Un metteur en scène qui, chaque année, avec l'aide d'acteurs issus de la population locale, monte invariablement le même pièce au coeur de la savane. Un chasseur qui s'apprête à affronter le grand départ. Ou encore cette ancienne militante politique que les aléas de la vie confrontent à la pérennité de ses idéaux.
Un récit en abyme où l'on entend s'égrener le temps, et dont on ressort immanquablement en questionnant notre propre identité, notre rapport à l'autre.
A l'occasion des 80 ans de Michel Otten, professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain et exégète de l'oeuvre d'Emile Verhaeren, une trentaine d'études du magister ont été rassemblées dans un recueil paru aux éditions Le Cri.
Sous le titre Paysages du Nord, ces passionnantes études de littérature belge de langue française portent sur la littérature 'fin-de-siècle' et le symbolisme, les modernismes de l'entre-deux-guerres et les horizons contemporains.
'J'écris trop au Nord', confiait Max Elskamp, en 1893, à son ami Henry van de Velde, pour expliquer le refus de sa poésie par Paris. De là ces paysages insolites, paysages du Nord le plus souvent, que cet ouvrage tente d'appréhender.
Ce sont l'arrière-pays celtique de Jean-Pierre Otte, les débris de Paradis de Paul Willems, les réalités fantastiques de Franz Hellens, l'Anvers de Guy Vaes saisi dans un vertige, le Bruxelles de Pierre Mertens en proie au vacillement, les paysages d'exil parcourus par les romanciers belges des années 1980.
Ce sont bien sûr aussi les grands poètes symbolistes : Maeterlinck, Elskamp, au premier rang. Tous ont saisi le profond conseil de Max Beckmann : 'Si tu veux atteindre l'invisible, scrute le visible aussi loin que tu peux'.
«Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici.»
En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
« Francis Jammes est un très beau poète. Un jour, il a mis dans un quatrain un âne et une abeille. Je me suis demandé pourquoi il avait réuni ces deux animaux. J'ai comparé les labeurs de l'abeille avec la philosophie espiègle de l'âne. J'ai jeté un oeil dans les ruches, dans l'atelier où les hyménoptères fabriquent le nectar des dieux. Et j'ai cru repérer le lieu où les deux animaux affichent leur ressemblance. Ce lieu est la sexualité : l'insecte et le mammifère défient la loi fondamentale : tu n'aimeras pas un individu d'une autre espèce que la tienne. Ils désobéissent. Ils aiment ceux qu'ils aiment, et tant pis si les dieux froncent le sourcil. Pareille révolte contre l'ordre des choses est sans exemple. C'est elle qui a permis à l'âne d'introduire sur la terre un individu qui n'avait pas été dessiné dans les cartons de Dieu, le mulet, et à l'abeille de renouveler le miracle de la vie en faisant l'amour avec les roses. » Gilles Lapouge
La tête de l'emploi
À 50 ans, Bernard se voyait bien parti pour mener la même vie tranquille jusqu'à la fin de ses jours. Mais parfois l'existence réserve des surprises... De catastrophe en loi des séries, l'effet domino peut balayer en un clin d'oeil le château de cartes de nos certitudes. Et le moins que l'on puisse dire est que cet homme ordinaire, sympathique au demeurant, n'était pas armé pour affronter ce qui l'attendait.
Buster Keaton post-moderne, il va devoir traverser ce roman drôle et mélancolique pour tenter de retrouver sa place dans un monde en crise.
« Le 'Bernard' impose une sorte de familiarité tacite, pour ne pas dire immédiate. On n'a pas peur de taper dans le dos d'un Bernard. Je pourrais me réjouir de porter un prénom qui est une véritable propagande pour se faire des amis. Mais non. Avec le temps, j'ai saisi la dimension sournoise de mon prénom : il contient la possibilité du précipice. Oui, j'ai toujours ressenti le compte à rebours de l'échec, dans cette identité qui est la mienne. Il y a des prénoms qui sont comme la bande-annonce de leur destin. À la limite, Bernard pouvait être un film comique. En tout cas, il était certain que je n'allais pas révolutionner l'humanité. »
Sybille croit aux histoires qui finissent bien. Elle a beau savoir de quelle manière est morte Jeanne d'Arc, quand elle regarde un des films qui lui ont été consacrés, Sybille ne peut s'empêcher d'espérer qu'un pompier vienne la tirer d'affaire. Alors comment imaginer que la réalisation de son propre long-métrage va virer au film catastrophe ? Toute à sa passion, l'apprentie cinéaste refuse de se laisser abattre par les problèmes qui s'accumulent. Producteurs qui écrivent les scénarios, actrices qui entrent en résistance, agents hystériques, financiers qui ne financent pas : tout va s'arranger, elle n'en démord pas. Son enthousiasme aveugle lui donne des ailes. Celles du pigeon que l'on plume ou celles du dindon de la farce ?
Tout à la fois roman biographique et méditation sur les mystères du génie créateur, La Splendeur est le récit de la vie de Girolamo Cardano, célèbre médecin, astrologue, savant, mathématicien et inventeur qui évolua aux côtés des plus grands, de Charles Quint à Ambroise Paré.
Féru de rêves et de songes prophétiques, Cardano (Jérôme Cardan en France) prétendait posséder son « démon » personnel, lequel nourrissait amoureusement son esprit de traités mathématiques et de prédictions astrologiques. C'est à ce malicieux génie tutélaire, incarnant l'étrangeté et le mystère qui entourent la fulgurance de l'inspiration, que Régine Detambel, bousculant ainsi les codes du genre biographique, a choisi de confier le récit de la difficile ascension et de la chute d'un homme hors du commun.
Prototype de l'humaniste et de l'esprit libre, Cardano, en « écorché du cerveau », inspira les libertins du XVIIe, avant d'intriguer les encyclopédistes et de susciter l'intérêt de Nerval, Balzac ou Paul Valéry. Régine Detambel l'installe ici au coeur d'une fiction aussi baroque qu'enthousiasmante qui nous plonge dans la mentalité extraordinaire d'un XVIe siècle déchiré entre rationalité et fascination à l'égard des forces occultes, et qui rend un hommage jubilatoire aux extases de la pensée en mouvement - de ses ardeurs les plus fécondes à ses plus folles fantasmagories.
Quand l'absinthe a été interdite... Il a bien fallu trouver des solutions de remplacement. [...] Alors, quelques surréalistes ont lancé le café électrique. Un pastis pur dans le café. L'oeil de Gaspard, pastis pur et crème de menthe. Et enfin le Pernod and Black... Pur pareil... avec crème de cassis. Jamais d'eau ni de glace ! Ça fout tout en l'air. Le secret, c'est d'utiliser du Rayon vert, un pastis artisanal, et du Black Current anglais... chargé à la vitamine C. Garçon ! Un Pernod and Black !
Noël est toujours plus triste à Pigalle. Et quand le destin s'acharne sur deux éclopés qui n'en demandaient pas tant, les cadavres s'entassent avec les plans douteux, les flingues arrivent dans les mauvaises mains, et tous les dingues sont de sortie. L'errance de ces amants traîne des bagages un peu lourds : substances opiacées, estime de soi en berne et, avant tout, un goût pour la beauté qui ne cadre pas trop avec l'air du temps. Il s'agit de survivre dans un siècle qui n'en finit plus de s'achever, et dont les ultimes soubresauts ont une fâcheuse tendance à vouloir vous faire la peau.
Un beau matin de septembre, les habitants de Châtillon-en-Bierre se retrouvent confrontés à un curieux phénomène : il leur devient soudain impossible de quitter leur village. Les routes n'aboutissent plus nulle part, tout comme les coups de téléphone et les e-mails. Après la sidération du début, il faut très vite affronter des questions pratiques (comment manger, se soigner, etc.), puis des questions métaphysiques. Les Châtillonnais sont-ils désormais seuls dans l'univers ? Est-ce un signe de Dieu ?
Jouant de situations tantôt cocasses, tantôt tragiques, Bernard Quiriny signe une savoureuse fable sur la démondialisation doublée d'une interrogation sur le sens de l'existence.