Crépuscule irlandais. Edna O'Brien écrit ici le roman tumultueux et enfiévré de l'amour maternel. Il faudra un long chemin à Eleanora pour comprendre la vraie nature de sa mère, Dilly, qui pour elle avait toujours représenté le poids de la morale et de la tradition.
Dilly avait eu beau vouloir dans sa jeunesse échapper à son destin de fille d'Irlande, elle était revenue au pays, résignée, et s'était mariée, après sa tentative avortée de fuite aux États-Unis. Sa fascination pour New York, son premier travail comme bonne à tout faire, et puis le rêve qui tourne court et, dès son retour, l'installation à Rusheen, cette campagne perdue où elle a vécu la majeure partie de sa vie : elle a tout le temps de se les remémorer dans l'hôpital de Dublin où elle attend un diagnostic. Âgée et malade, elle ne désire plus qu'une visite de sa fille, à qui elle n'a jamais cessé d'envoyer des lettres aimantes et fascinées.
Eleanora, elle, a fui très jeune pour Londres l'étouffante campagne irlandaise. Elle y est désormais célèbre et détestée pour ses romans sulfureux. Quand enfin elle se rend au chevet de sa mère, c'est en coup de vent : elle prétexte un rendez-vous, et part retrouver un amant. Dans sa précipitation, elle oublie son journal intime...
Quand elle s'en aperçoit, sa panique est vaine : la vie affranchie et passionnée qu'elle y consigne a sans doute tendu à sa mère un troublant miroir où celle-ci a pu reconnaître l'ombre de ses désirs passés. Eleanora découvrira, trop tard, la dimension de l'amour que lui vouait Dilly.
Libera nos a malo («Délivrez-nous du mal») (1963) est le roman du pays de Malo (Vénétie), des années 1920 jusqu'à l'après-guerre. Mosaïque de récits drolatiques d'une enfance italienne sous le fascisme, bribes de fictions et d'épopées autobiographiques, digressions philologiques et burlesques sur la religion, les courses de bicyclettes, l'amitié, les petites amoureuses ou la mort, le livre nous révèle une Italie disparue dont le héros est la langue. Cette langue minuscule de Malo, dont l'extraordinaire richesse vient télescoper l'italien officiel des instances de pouvoir et dire l'universalité des récits de l'enfance et du souvenir.
« J'ai vu pas mal de choses dans ma vie. Une fois j'allais chez ma mère pour y passer quelques nuits. En arrivant sur le seuil, j'ai jeté un coup d'oeil et je l'ai vue, assise sur le canapé, en train d'embrasser un homme. C'était l'été. La porte était ouverte. La télé était allumée. Voilà une des choses que j'ai vues. » Monsieur le Bricoleur
Raymond Carver a quarante-trois ans lorsque Parlez-moi d'amour (What We Talk About When We Talk About Love) paraît aux États-Unis.
L'éditeur Gordon Lish, qui est alors un des gourous de la scène littéraire new-yorkaise, a déjà fait publier plusieurs de ses nouvelles dans le magazine Esquire. Voyant en Carver la promesse d'un immense écrivain, il s'est emparé de son manuscrit et l'a réduit de moitié. En quelques années, Carver devient une des stars de la littérature américaine. Il rafle tous les prix, enseigne à l'université et exerce sur une génération entière d'écrivains - aux États-Unis comme à l'étranger - une influence décisive. Mais sa gloire repose en partie sur un malentendu. Pourtant, il suffit d'ouvrir Parlez-moi d'amour pour que la magie opère à nouveau. Une fois encore, ce style si dépouillé qu'il en devient presque invisible fait résonner des voix désormais familières : un homme sans mains, une femme divorcée et son ex-mari, quatre pêcheurs surgis du néant, personnages ordinaires nimbés de mystère, illustrations parfaites de ce « réalisme des lointains » qu'invoquait la grande Flannery O'Connor. Par-delà les années, en dépit des aléas de la comédie littéraire, ce livre continue d'illuminer de sa beauté énigmatique les dernières décennies du XXe siècle.
Dans la veine de ses plus grandes nouvelles, Jim Harrison tisse trois destins solitaires, trois personnages tragiques en quête de rédemption qui évoluent dans l'Amérique idéale de l'écrivain, aux habitants aussi rudes que les saisons du Montana.
On découvre Sarah, une adolescente qui cherche à assouvir un désir de vengeance irrépressible après l'agression dont elle a été victime à l'âge de quinze ans. On retrouve avec délectation Chien Brun, à la recherche de l'âme soeur. Et enfin un loup-garou en proie à de terribles accès de violence les soirs de pleine lune.
Les Jeux de la nuit, recueil de nouvelles le plus ambitieux et le plus saisissant de Jim Harrison depuis Légendes d'automne, dépeint de manière inoubliable trois vies américaines hors du commun. Avec humour, émotion et une profonde humanité, Harrison justifie une fois de plus son statut de maître de la littérature américaine.
« S'il y a une chose que Harrison sait faire, c'est partager avec ses personnages son amour de la sensualité et les faire évoluer dans un monde naturel idéal. » The New York Times Book Review
« D'emblée, nous avons rêvé de devenir des Socrate de la lutte armée : inévitablement mais glorieusement défaits. Et, dès lors, invincibles dans la défaite. »
Palerme, 1978. Ils n'ont que onze ans, mais déjà leur passion est l'idéologie, leur modèle les Brigades rouges. Rayon, Envol et Nimbe - leurs noms de guerre - suivent fiévreusement les événements de cette terrible année pour l'Italie, en particulier l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, et décident de passer eux aussi à l'action. Mois après mois, ils s'enhardissent et, après les provocations et les gestes de vandalisme, se muent en véritables délinquants. Cette dérive passe également par la création d'un langage, l'alphamuet, qui réinvente la rhétorique des terroristes et remonte ainsi jusqu'aux racines du mal. Qu'y a-t-il au bout de cette plongée dans la violence ? Ne leur reste-t-il comme issue que le crime et la mort, ou les trois adolescents peuvent-ils encore retrouver l'amour, comme celui qui naît chez Nimbe pour Wimbow, la petite fille créole ?
Salué comme un événement par la critique italienne, habité par une ferveur et une tension qui ne faiblissent à aucun moment, le roman de Giorgio Vasta est de ceux qui marquent leur époque et, à eux seuls, changent la vision qu'on a d'une période historique, en l'occurrence les années de plomb.
Jenny quitte son Angleterre natale et les froides réalités du Nord pour découvrir le Sud et les charmes de Naples. Elle va faire la connaissance d'une écrivaine, la belle et talentueuse Gioconda, et de son amant, Gianni, un metteur en scène romain. Mais à partir de ce trio traditionnel, l'art de Shirley Hazzard, avec le regard sans concession qu'elle porte sur les faiblesses humaines, va bouleverser la donne. L'étrangère, néophyte et fascinée, perd peu à peu son innocence et, de spectatrice manipulée, devient actrice à part entière.
Ainsi apprend-elle que comprendre l'autre, c'est aussi se rapprocher de soi-même.
Des ruines somptueuses de Naples à ses terrasses au soleil, ce livre nous promène à travers la ville. Mais c'est surtout d'un voyage initiatique qu'il s'agit : celui qui, par les chemins hasardeux de la découverte d'autrui, mène à la connaissance de soi.
Cette tranche de vie qui lie une héroïne et une ville emmène le lecteur de surprise en surprise : l'aventure n'est pas toujours là où l'on s'attend à la trouver.
Voyage initiatique drôle et mélancolique aux confins de l'Islande, bouleversant éloge de l'amitié, de l'amour et de la folie, le deuxième roman d'Hubert Klimko. Au fil des errances poétiques de trois amis, une superbe réflexion sur l'exil et la condition de l'artiste.
Quand il débarque à Reykjavík, le narrateur, un jeune immigré polonais, n'a d'autre choix que de s'inventer les métiers les plus improbables pour gagner sa vie. Il s'improvise artiste peintre amateur, mime de rue, poète sous le nom de plume de Hugo de Hugo ; traîne avec Boro, excentrique peintre croate atteint d'une étrange phobie du vert et qui, à ses heures perdues, joue de l'harmonica à une orque apprivoisée.
Et puis, il fait la connaissance de Szymon, Polonais lui aussi, compositeur, violoniste, jazzman un peu fou. Très vite, les trois hommes deviennent inséparables.
Entre débrouille, aventures loufoques et petits tracas naît une amitié qui va transformer la vie du narrateur...
Au piano, une femme travaille, étudie, décrypte les Variations Goldberg, tente de comparer les différentes éditions de la partition, de s'approcher au plus près de la composition de l'oeuvre de Bach, de comprendre ce qui la porte au sublime. Ainsi éclairé par la musique et en écho aux variations se déploie peu à peu en elle un paysage auquel elle n'avait ou ne pouvait plus avoir accès : les moments de joie, le quotidien, les simples détails comme les plus beaux souvenirs d'un passé partagé avec sa fille, aujourd'hui disparue.
Alternant le récit de cette vie familiale heureuse et sa réflexion sur les limites de l'interprétation, de l'appropriation personnelle d'une oeuvre musicale, Anna Enquist circonscrit dans ce livre le ressenti d'une existence brisée par la perte d'un être cher. Et c'est avec une sobriété remarquable qu'elle explore ce qui lui a peut-être permis de rester en vie, ce que l'art peut apporter de favorable à la reconstruction de soi, à la capacité d'exprimer ce qui doit être dit de soi-même et des autres.
Contrepoint est le livre le plus personnel et le plus profond de la grande romancière néerlandaise. Questionnant les correspondances inconscientes entre l'écriture et la musique, ce roman est certainement, dans les deux sens de l'expression, « le livre de sa vie ».
Jiselle, trentenaire et toujours célibataire, croit vivre un véritable conte de fées lorsque Mark Dorn, un superbe pilote veuf et père de trois enfants, la demande en mariage. Sa proposition paraît tellement idyllique qu'elle accepte aussitôt, quittant les tracasseries de sa vie d'hôtesse de l'air pour celle, a priori plus apaisante, de femme au foyer. C'est compter sans les absences répétées de Mark, les perpétuelles récriminations des enfants et la mystérieuse épidémie qui frappe les États-Unis, lui donnant des allures de pays en état de guerre. Tandis que les événements s'accélèrent autour d'elle, l'existence de Jiselle prend un tour dramatique, l'obligeant à puiser dans ses ressources pour affronter cette situation inédite...
«Ce qui est rare chez Laura Kasischke, c'est ce curieux mélange de maîtrise et d'émotion, d'étrangeté et de simplicité, d'atrocité et de poésie.» (Olivia de Lamberterie, Elle)
En 2005, alors qu'elle vient à peine de commencer à prononcer le discours préparé en l'honneur de son père disparu deux ans auparavant, Siri Hustvedt voit soudain tout son corps secoué par d'irrépressibles tremblements. Aussi effrayée que stupéfaite, elle constate que cette crise n'affecte cependant ni son raisonnement ni sa faculté de s'exprimer.
Afin de cerner la nature de ce spectaculaire - et, bientôt, récurrent - phénomène de dissociation, Siri Hustvedt va entreprendre d'aller à la rencontre de cette « femme qui tremble », ce Doppelgänger dont elle vient de découvrir l'existence.
Pour y parvenir, la romancière, de longue date fascinée par les phénomènes liés aux désordres psychiques, va s'engager dans une recherche approfondie. Assistant, puis participant activement, à des séminaires de neuropsychologie tout en s'impliquant dans des ateliers d'écriture en lien avec des institutions psychiatriques officielles, l'écrivain ne manque pas d'accueillir également, pour étayer son enquête, les inépuisables témoignages que délivrent, sur le sujet, non seulement les oeuvres littéraires qui l'ont nourrie mais aussi les découvertes dont sa pratique personnelle de l'écriture est le constant laboratoire.
Synthèse d'un parcours placé sous le signe de la rigueur intellectuelle et d'une réquisition, parfois douloureuse, de l'opaque mémoire affective individuelle, La Femme qui tremble s'affirme comme une approche aussi ambitieuse qu'inédite de l'histoire des pathologies mentales, aborde sans détour les rapports de la maladie avec le geste créateur, et délivre une parole d'humilité solidaire de la souffrance de « l'autre ».
En France, toute l'oeuvre de Siri Hustvedt est publiée par Actes Sud.