On peut être un intellectuel raffiné et cultiver des manies assez frivoles. C'est le cas du narrateur d'Histoire des cheveux, qui a développé une véritable obsession à l'égard de sa coiffure. Il la juge trop bourgeoise et rêve d'une coupe « afro ». Si, faute de mieux, il est prêt à s'accommoder d'une coupe moins révolutionnaire, le narrateur n'en souhaite pas moins qu'elle soit parfaite et le rende libre. Une préoccupation qui le conduit à se lier à une série de personnages insolites : Celso, le génial coiffeur paraguayen, qui disparaît sans prévenir ; Monti, son ami d'enfance, qui refait irruption dans sa vie ; et le mystérieux Vétéran, de retour à Buenos Aires après des décennies d'exil en Europe. Autant de rencontres qui rythment cette évocation subtile et poétique de la décennie la plus sombre de l'histoire argentine.
« Un roman actuel, irrévérencieux, qui dialogue avec le présent et flirte avec la parodie politique. Une façon d'approcher l'histoire depuis les marges, les artifices. » D. Gándara, La Razon
« Une âme s’en vient, une autre s’en va », disait souvent Tante Tassi, quand elle expliquait à la belle Celia que sa mère était morte en lui donnant le jour. Elle l’avait recueillie, et élevée auprès de ses deux filles, Vera et Violet, et de son second mari, Roman. Roman était pour Celia le diable en personne. Un être pernicieux, misérable et détestable ; une brute alcoolique, doublé d’un coureur de jupons. Elle aurait aimé se tromper, mais, le jour où elle devint femme, il commit l’irréparable et lui fit découvrir l’enfer. Le soir même, ne pouvant s’imaginer dormir une nuit de plus sous le toit de cet infâme personnage, elle s’enfuit du village de Black Rock à Tobago et entama, sans le savoir, un bouleversant voyage intérieur, celui vers l’âge adulte. D’une plume intense et subtile, Amanda Smyth signe avec Black Rock un premier roman aussi luxuriant que les paysages caraïbéens traversés par son héroïne.
Il y a des réminiscences de La Prisonnière des Sargasses de Jean Rhys dans le fascinant, l’aérien roman d’Amanda Smyth. Elle nous enchante autant en décrivant une touffeur et des luminosités tropicales, qu’en explorant l’indolence de ses personnages, leur besoin de vengeance et les désirs qui les assaillent. The Guardian
Dans une prison américaine, Raza Ashraf, attend, nu et tremblant, son transfert pour Guantánamo. Comment peut-on en arriver là ?...
Quand le 9 août 1945 au matin, Hiroko Tanaka sort sur sa terrasse en kimono aux motifs d'oiseaux, elle est enivrée par le bleu du ciel de Nagasaki, son coeur bat à tout rompre. Sur ses lèvres, elle a encore l'empreinte de celles de Konrad Weiss, son amant allemand, et à ses oreilles résonne toujours sa demande en mariage.
Mais, à peine née, leur histoire s'achève déjà. Car, d'un coup, le monde blanchit... Contrairement à Konrad, Hiroko survit à la bombe atomique, et les graves brûlures sur son dos prennent alors la forme de grands oiseaux noirs qui lui rappelleront toute sa vie ce qu'elle a perdu...
Deux ans plus tard, elle se rend à Delhi chez la demi-soeur de Konrad, Elizabeth Burton, et son mari James. Leur employé, Sajjad Ashraf, lui donne des cours d'ourdou. Il sait la troubler et vaincre son renoncement à l'amour...
« Combien de fois me suis-je demandé ce que ma fille serait devenue si nous n'avions pas fait cela ! Si le hasard ne nous avait pas fait entendre ces sons. La fascination qu'exerçait sur elle le son du violon aurait-elle triomphé à une autre occasion, sous une autre forme ? Quel autre événement aurait pu la sauver de sa tristesse paralysante ? Son talent serait-il apparu en tout cas ? Ou serait-elle devenue une écolière ordinaire, rêvant d'un métier ordinaire ? Et moi ? Où serais-je aujourd'hui, si je ne m'étais pas trouvé devant l'exigence immense du talent de Léa face à laquelle je n'étais absolument pas à la hauteur ? [ ... ] Tout aurait pu bien tourner, je pense, si nous ne nous étions pas engagés tous les deux, ce jour-là, dans cet escalier roulant. »
Après le succès mondial de Train de nuit pour Lisbonne, Pascal Mercier réussit de nouveau à mêler réflexion philosophique, intuition sensible et virtuosité narrative.
Récit autrobiographique d’une limpide simplicité, « mémorial plein de fraîcheur et de sentiment que l’on pourrait comparer aux livres de l’américain Thoreau », comme l’a décrit Claudel, les Notes de ma cabane de moine, rédigées en 1212, s’ouvrent par le constat de l’universelle précarité de la vie humaine.
Kamo no Chômei, fils d'un prêtre shintoiste, relate les différentes calamités auxquelles il lui a été donné d’assister – ouragan, incendies, transfert de la capitale de Kyoto à Fukuhara, famine, tremblement de terre – autant de raisons de sentir avec intensité « l’impermanence de toutes choses en ce monde et la précarité de sa propre vie ». Que faut-il donc faire pour « goûter un instant le contentement du cœur » ? Il vient à l’idée de Chômei de se construire un ermitage. Ses demeures deviennent plus modestes à mesure qu’il vieillit, jusqu’à la « toute petite bicoque », posée à même le sol, de ses dernières années. Chômei décrit l’existence qu’il y mène, fruste mais agrémentée par la contemplation des paysages, la poésie et la musique. Il possède encore quelques livres, et a emporté son biwa, une sorte de luth. Il ne cache pas les moments de tristesse, et « mouille sa manche de ses larmes » lorsqu’il entend les cris des singes alors qu’il songe à ses amis perdus. Avec une infinie modestie, il témoigne des progrès qu’il accomplit dans la voie du bouddhisme, malgré « un cœur qui reste souillé » : « J’assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n’y accroche pas mon espoir et n’éprouve pas non plus de regret. »
La traduction, écrite dans une belle langue classique, est celle du Révérend Père Sauveur Candau qui vécut plus de trente années au Japon. La savante étude de Jacqueline Pigeot, placée en postface, apporte toutes les clés nécessaires pour approfondir la lecture de ce texte émouvant. Elle insère ce que l’on sait de la vie de Chômei dans son contexte historique, nous apprend dans quel courant du bouddhisme il se situait. Replaçant les Notes de ma cabane de moine dans une tradition littéraire venue de Chine, elle n’en montre que mieux la spécificité de Chômei, et le caractère novateur de son style.
Traduites pour la première fois en français, les Notes sans titre (Mumyôshô) s’inscrivent dans une longue tradition d’écrits théoriques sur la poésie, où le livre de Chômei occupe une place à part. N’étant pas à la tête d’une école, Chômei n’avait pas autorité pour écrire un tel traité, mais il était témoin de l’une des périodes les plus riches de l’histoire du waka japonais.
Les Notes sans titre se composent de quelque 80 courts chapitres écrits au fil du pinceau, sans autre lien que leur sujet commun : la poésie. Différentes raisons expliquent le succès immédiat et durable de l’ouvrage. Non seulement Chômei présente, dans une perspective historique, un bilan de la création poétique et de la réflexion théorique depuis le Xe siècle, mais il définit également une esthétique nouvelle, celle de son temps. Chômei rapporte dans son traité de nombreux propos de poètes qu’il a fréquentés, en particulier ceux de son maître Shun.e. Il y aborde en outre différentes questions pratiques, qui font de ce texte une sorte de vade mecum pour les poètes. On y apprend ainsi comment enchaîner les termes d’un poème, comment se comporter lors d’un concours ou bien encore quelle attitude adopter lorsqu’une femme vous adresse un waka. Les questions d’érudition revêtaient à l’époque une importance capitale : c’est sur la connaissance de ces détails – jalousement gardés – que certaines écoles poétiques fondaient leur légitimité.
Mais la fascination qu’exercent les Notes sans titre – sur le lecteur moderne en particulier – ne tient pas uniquement à ce qu’elles nous apprennent sur la poésie. Chômei est un grand écrivain : l’acuité de son regard, son sens de l’ironie, la manière qu’il a de brosser les portraits, de rapporter les propos, de décrire les grandeurs et les mesquineries de ses pairs, font de ce texte un témoignage unique. De par leur caractère anecdotique, les Notes sans titre font revivre sous nos yeux ces poètes, illustres ou obscurs, que Chômei a fréquentés. Nous entendons leurs voix.
Plus qu’une préface, l’étude de Michel Vieillard-Baron est la meilleure introduction qui soit à cette période fascinante de la poésie japonaise.