Bien avant la consécration de son travail par le prix Nobel de littérature en 2002, Imre Kertész a noté - sur une période de trente ans - observations, pensées philosophiques et aphorismes qui l'accompagnaient lors de l'écriture de ses premières oeuvres. A travers un dialogue avec Nietzsche, Freud, Camus, Adorno, Musil, Beckett, Kafka, et bien d'autres encore, Kertész nous fait partager la genèse lente et douloureuse de ses plus grands textes, Etre sans destin et Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas. Au centre, bien sûr, comme le noyau noir de son existence, l'holocauste. Mais sa pensée, sa recherche existentielle concernent, plus largement, la question du totalitarisme, le caractère de la modernité, ainsi que son concept de la liberté.
Carnet de bord d'un grand écrivain, ce Journal de galère donne les clés d'une oeuvre immense.
Olive est l’épouse du pharmacien de Crosby, petite ville côtière du Maine. Elle est la mère de Christopher, qu’elle étouffe. Et aussi ce professeur de mathématiques tyrannique, au franc-parler souvent blessant, capable pourtant de surprenants élans de bonté. Olive Kitteridge traverse cette fresque polyphonique où le destin des habitants de Crosby – héros ordinaires – s’entremêle sur une période de trente ans. Éclate alors une personnalité hors normes, cette femme a priori peu aimable, mais ô combien attachante. Ce portrait offre d’Olive une multitude d’éclairages – parfois contradictoires, toujours justes. Rarement un écrivain a approché avec une telle puissance la singularité et la complexité de la nature humaine – son universalité, aussi. Salué outre-Atlantique pour la virtuosité de sa construction et la finesse de son ton, Olive Kitteridge s’inscrit dans la lignée de romans américains tels Le cœur est un chasseur solitaire, de Carson McCullers, ou Les Corrections, de Jonathan Franzen.
Le 9 juin 1956, en Argentine, les généraux Tanco et Valle se soulevèrent contre le gouvernement de facto qui avait destitué le président Perón en septembre 1955. L'insurrection fut brutalement et illégalement réprimée. Dans la décharge publique de José León Suárez, un groupe de civils - certains vaguement liés à la révolte, les autres totalement étrangers à celle-ci - furent exécutés avant même que ne soit proclamée la loi martiale. Une poignée d'entre eux réussit à échapper à la mort. Rodolfo Walsh retrouva l'un des survivants, grâce au témoignage duquel il reconstitua les faits et en publia le récit en 1957, après avoir dû se réfugier dans la clandestinité pendant plusieurs mois. Opération Massacre est le résultat de cette enquête pénétrante et exhaustive qui, bien avant que le New Journalism ne connaisse son heure de gloire aux États-Unis, inaugura un genre nouveau en littérature.
« La dénonciation transposée à l'art du roman devient inoffensive... Le document, le témoignage, admet un important degré de perfectibilité ; il y a dans la sélection, dans le travail d'investigation, d'immenses possibilités artistiques. » (Rodolfo Walsh)
Le groupe minuscule des tentes sur ce champ de pierres battu par les vents, l'altitude, les chaînes de montagnes, le ciel au-dessus de nous et la conscience de me trouver aussi loin qu'il était possible de tout ce que je connaissais, au-delà des limites du monde moderne - cela me remplissait d'un certain malaise mais aussi, au début, d'un soulagement profond. Pour quelque temps, j'étais parti, et j'avais à jouer un rôle totalement différent, en un lieu où nul ne me connaissait, où j'aurais pu être n'importe qui, n'importe quoi, tel un voyageur anonyme dans une ville étrangère.
Première œuvre romanesque d’Ingeborg Bachmann dans une nouvelle version de la traductrice. Les sept nouvelles qui composent ce recueil sont organiquement liées entre elles. La dernière, « Ondine s’en va », les résume et les regroupe. Malgré leurs turpitudes, leurs errements et leurs luttes, malgré la guerre dont les hommes ne sont pas encore libérés, Ondine choisit de chanter la gloire de ce monde. Car l’être humain est toujours à la recherche patiente d’un absolu. Prisonnier et conscient de sa prison, l’homme tend les mains vers une liberté qu’il sait impossible. Au terme d’une méditation lyrique sur les étapes de sa vie passée, il s’accepte pécheur.
Étrange don que celui d'Ernest. Fils d'une baronne écervelée au point d'en oublier qu'elle l'a un jour enfanté, il est doté d'une imagination hors du commun et capable de subjuguer son auditoire en contant de fabuleuses histoires. Il ensorcelle tous les coeurs : des cohortes d'enfants l'acclament, les adultes se languissent de lui. Jusqu'au jour où les exploits du facétieux jeune homme parviennent aux oreilles de son oncle, évêque fanatique qui expédie dans l'au-delà sorcières supposées et incroyants de tout poil, après les avoir confiés aux mains expertes de la Sainte Inquisition.
Lucide et caustique, Wassermann dépeint dans ce Moyen Âge fictif le combat du conformisme et de la liberté, du pouvoir politique et de la poésie. L'inventivité du saltimbanque se rit de l'arrogance des puissants. L'énergie de l'enfance se joue de l'injustice et de l'intolérance.
Paru en revue en 1903, Les Ambassadeurs est l’un des trois romans récapitulatifs, avec Les Ailes de la colombe et La Coupe d’or, d’un Henry James parvenu au sommet de son art. L'auteur lui-même considérait ce grand roman parisien comme son chef-d’œuvre : « Par bonheur, je me trouve en mesure de considérer cet ouvrage comme franchement le meilleur, “dans l’ensemble”, de tous ceux que j’ai produits. » Et de fait, c’est un de ses romans les plus brillants, les plus séduisants aussi.
L’intrigue en est simple, même si l’analyse de ce qui va se jouer entre les divers personnages est, comme toujours chez James, extrêmement subtile. Elle est déjà présente dans les passionnantes « Notes préparatoires », plus de 100 pages inédites en français que nous donnons en annexe à cette nouvelle traduction : « En tout cas, cela me donne la petite idée d’un personnage d’homme âgé qui n’a pas “vécu”, pas du tout, dans le sens des sensations, des passions, des élans, des plaisirs – et qui, en présence de quelque grand spectacle humain, quelque grande organisation pour l’Immédiat, l’Agréable, la curiosité, l’expérience, la perception, en un mot, la Jouissance, s’en rend, sur la fin ou vers la fin, tristement compte. »
Ce personnage, ce sera Lambert Strether, un Américain envoyé comme « ambassadeur » à Paris pour y récupérer Chad, le fils d’une riche amie, dont on craint qu’il soit en perdition morale. S’il parvient à ramener le jeune homme en Amérique pour qu’il se voue à l’entreprise qui lui est destinée, sa récompense sera d’épouser ladite amie qui, déjà, finance la revue littéraire qui est la seule identité de cet homme incapable d’action. Mais l’on comprend très vite, dès les premières pages du livre, que Strether va faire des rencontres susceptibles de modifier le sens de sa mission. Et qu’il ne sera lui-même pas insensible aux séductions du « grand spectacle humain » qu’est Paris – « le Paris des boulevards, contemplés du second étage des balcons haussmanniens et des toiles impressionnistes » (Mona Ozouf) – merveilleusement évoqué ici par James.
Barbara Rafferty, radiée de l'ordre britannique des médecins pour avoir pratiqué l'euthanasie, s'est reconvertie dans le militantisme écologique, précisément dans la sauvegarde des albatros de Saint-Esprit, une île de Polynésie où doivent reprendre les essais nucléaires français.
Épaulée dans sa tâche par le jeune Neil Dempsey, orphelin de père et quelque peu désœuvré, Barbara gagne son combat, a priori perdu d'avance, grâce à une bavure : les patrouilleurs français ont blessé Neil par balles et l'opinion internationale s'est aussitôt enflammée.
Forte de sa victoire sur les autorités françaises, Barbara commence à transformer Saint-Esprit en sanctuaire pour espèces animales et végétales menacées. Les albatros reviennent, les dons affluent, les visiteurs se succèdent.
Les meurtres peuvent maintenant commencer...
« Ce qu'indique la métaphysique de la Qualité, c'est que la croyance intellectuelle du XXe siècle en la bonté fondamentale de l'homme, spontanée et naturelle, est d'une naïveté désastreuse. L'idéal d'une société harmonieuse dans laquelle, sans coercition, chacun coopère joyeusement avec tous pour le bien commun est une fiction dévastatrice. »
« Par son ampleur de vue panoramique, son énergie intellectuelle, son opiniâtre intégrité, Lila place Pirsig dans la catégorie de maîtres tels que Tolstoï, Melville ou Dickens. Lila tire sa force de fulgurants instants d'intuition individuelle, informés par ce sens chronométrique du temps et du geste qu'on appelle le génie. C'est un de ces livres, offerts à la culture par surprise, qui nous aident à changer et à vivre. » The Chicago Tribune
Enfin publié ici dans son intégralité pour la première fois au monde (plus d'un tiers du livre est inédit) et sous son titre original, Voyage au pays des Ze-Ka est l’un des plus bouleversants témoignages jamais écrits sur le Goulag. Le livre était paru en France en 1949 sous le titre La Condition inhumaine, bien avant les chefs-d’œuvre de Soljenitsyne et de Chalamov. Cet hallucinant récit de cinq années passées dans les camps soviétiques ne le cède en rien à ceux de ses célèbres successeurs, ni pour la qualité littéraire, ni pour l’acuité de pensée et la hauteur de vue avec laquelle l’auteur s’efforce de donner un sens à son expérience, aux limites de l’humain.
Né dans une famille juive de Pinsk (Biélorussie), Julius Margolin (1900-1971) est élevé dans la culture russe. Après avoir terminé ses études de philosophie à Berlin, il s'installe en Palestine. En 1939, il est en séjour à Lodz lorsque la Pologne est envahie. Il se réfugie alors dans sa ville natale, à l’est du pays. Arrêté le 19 juin par le NKVD, il est envoyé dans un camp de travail sur la rive nord du lac Onéga. Ayant survécu par miracle à cinq années de Goulag, libéré en 1945, il écrit le Voyage dès son retour à Tel-Aviv, et doit faire face à une opinion internationale incrédule, l’URSS étant encore auréolée de sa contribution à la victoire contre le nazisme. Il vient à Paris en 1950 témoigner au procès de David Rousset contre Les Lettres françaises, et ne cessera de lutter, jusqu’à sa mort en 1971, pour la libération des Ze-Ka, les prisonniers des camps.
Le témoignage de Julius Margolin constitue un document unique à plusieurs titres. Margolin fut victime de la répression soviétique contre les citoyens polonais affluant massivement de la Pologne occidentale et, plus généralement, du nettoyage des confins pratiqué dès le début de l’occupation soviétique sur les territoires destinés à faire partie de l’URSS. Ces purges, qui visaient à la russification des populations, devaient assurer en premier lieu la destruction des élites et des institutions démocratiques, étape déjà réalisée partout ailleurs en Union soviétique.
Dans le vaste corpus des récits sur le Goulag, l’originalité du livre de Margolin consiste en ceci qu’il apporte un témoignage émanant d’un « étranger ». Ces témoignages constituent un volet à part dans la documentation littéraire sur le Goulag : avant leur arrestation, leurs auteurs n’ont pas été soumis à la pression idéologique, n’ont pas intériorisé les contraintes de la société soviétique, ni connu la peur des répressions. En un mot, ils étaient intérieurement libres. Aussi leurs écrits possèdent-ils une dimension anthropologique et narrative d’une grande richesse (prenant souvent la forme de récits de voyage).
Toutefois, Margolin n’est pas un vrai « étranger ». Son récit est écrit en russe, et son ancrage multiculturel lui permet d’accorder une place importante à la culture russe, par le prisme de laquelle il aborde les événements auxquels il se voit confronté. Il a ainsi toutes les clés pour interpréter le monde du Goulag, et la justesse de ses observations est un outil précieux pour l’historien.
Par ailleurs, l’engagement sioniste de Margolin, son séjour en Palestine, mais aussi et surtout sa compréhension intime du monde juif de l’Est européen, lui permettent d’apporter des observations uniques sur les bouleversements que connaît la population juive des confins avant la Shoah et la soviétisation de l’ancienne « zone de résidence ». Des éléments précieux sur un judaïsme disparu, dissous dans l’empire stalinien, sur une assimilation douloureuse dont on ignore encore bien des facettes.
Enfin, et surtout, Margolin est un écrivain. En dehors de sa pertinence testimoniale, ce livre retiendra l’attention par sa grande valeur littéraire.